lundi 21 janvier 2013

Un an après le discours de Hollande au Bourget: le temps passe vite...

Sans un nouveau rapport de forces, le changement ne sera pas au rendez-vous.

«Vivre, c’est s’obstiner à achever un souvenir.» Les mots de René Char eux-mêmes traduisent-ils assez notre perception de la situation actuelle? L’art suprême de la politique est, dit-on, celui de la maîtrise du temps. Reconnaissons que, depuis le 6 mai dernier, le temps passe vite. Si vite, qu’il semble égrener, tel un sablier, la mémoire cruelle de nos ressentiments, sans jamais en atténuer les souvenirs… Pensez donc. Bientôt neuf mois que François Hollande a été élu, et, demain, ses électeurs se rappelleront non sans émotion et beaucoup de regrets qu’il y a toujours juste un an le même homme prononçait son plus fameux discours de campagne. Celui du Bourget.

Un an déjà...
C’était le 22 janvier 2012. Et nous entendions ceci: «Il n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera jamais sa candidature, il ne sera donc pas élu, et pourtant il gouverne. Cet adversaire, c’est le monde de la finance.» Et puis cela: «Nous devons montrer nos armes.» Dresser le bilan d’un discours comme s’il s’agissait d’un anniversaire peut paraître déplacé. L’affaire est au contraire fondamentale.
Car, à l’époque, nous avions accueilli assez favorablement les mots du candidat socialiste. L’exigence du combat et la volonté nous paraissaient sinon sincères, du moins crédibles pour affronter la crise tout en inversant la courbe de l’espoir, sans laquelle rien ne se construit jamais vraiment. Mais depuis le «choc» du Bourget et son «air de gauche» qui aurait dû engager les socialistes vers une révision en profondeur de leur posture idéologique, où sont passées les promesses de changement et de rupture avec les logiques austéritaires des années de plomb sarkozystes? Les abandons de promesses se sont multipliés au point de donner un sentiment de duplicité, comme si la volonté exprimée s’était dissoute dans le bain libéral ambiant. Nous connaissons les conséquences: échec politique, désenchantement, désespérance… Pas moins de 85% des Français estiment que les hommes politiques ne se préoccupent pas d’eux et 52% ne font plus confiance ni à la gauche ni à la droite. Pendant ce temps-là, le président ne recueille que 28% de confiance chez les ouvriers, 35 points de moins en huit mois. Terrible.

Pour l’instant, François Hollande a choisi une forme de cohérence sociolibérale, à la fois par l’austérité mais aussi par la baisse de ce qu’il appelle lui-même le «coût du travail». Deux cas de figure peuvent expliquer ce que certains nomment un renoncement, d’autres une trahison. Soit François Hollande battait campagne avec des promesses qu’il savait ne pas tenir. Soit il s’est aperçu, faute d’assumer les conséquences des confrontations nécessaires, qu’il ne les tiendrait pas. Quelle que soit la raison, son cap conduit le peuple et la gauche dans le mur.

Jamais, dans notre histoire récente, la guerre de classe menée par tous ceux qui se font les porte-flingues de la finance et du libéralisme n’a été aussi puissante et dévastatrice. Nous le savions, mais chacun en a désormais la preuve: sans un nouveau rapport de forces, le changement ne sera pas au rendez-vous. La confrontation d’idées doit se décliner en mobilisations citoyennes, partout, comme le propose le Front 
de gauche, seul moyen de combattre les puissances de l’argent et les institutions internationales et européennes. Au Bourget, François Hollande proposait de modifier la logique dominante à l’œuvre pour sortir de la crise. Le 6 mai dernier, le peuple de gauche votait précisément pour une nouvelle organisation sociale, pas pour un virage social-libéral. Attention, le temps passe vite. Sauf pour les souvenirs.

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 21 janvier 2013.]

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Très belle synthèse de la situation. Franchement, rien à ajouter. Merci.