samedi 19 janvier 2013

Renault: mais de quelle ligne rouge parle-t-on?

Les dirigeants de Renault menacent les syndicats 
de fermer un site s’ils ne signent pas l’accord. Un chantage inqualifiable.

Carlos Ghosn.
Comment les dirigeants d’une entreprise française détenue à 15% par l’État, avec un gouvernement socialiste, peuvent-ils se comporter de la sorte? Très franchement, cette question risque de hanter tous ceux qui refusent toute forme de résignation et gardent 
au fond du cœur le sens du bien commun et le goût 
pour les affaires publiques… On dit des requins de la finance qu’ils n’ont ni foi ni loi, autre que celle du profit. Un jour, on dira peut-être de Carlos Ghosn, le patron de Renault, qu’il n’aura été qu’un de ces serviteurs zélés capables de brader l’un de nos fleurons nationaux sur l’autel de la rentabilité. L’annonce d’une réduction de 7.500 postes d’ici à 2016, soit 17% des effectifs, n’est pas seulement une douche froide pour les salariés concernés, c’est également un coup de tonnerre dans un paysage industriel dévasté. Après Peugeot et ses 11.000 postes sacrifiés, Renault entre dans la danse macabre. Celle des sorties de route programmées.

Le cynisme des dirigeants de l’ex-Régie pourrait figurer au palmarès du genre. Les syndicalistes ont en effet appris cette terrible saignée en plein milieu de la sixième réunion de négociation sur la compétitivité. Ça ne vous dit rien? Quelques jours à peine après la signature entre le Medef et la CFDT qui entérine les «accords compétitivité» pour «éviter les licenciements», Carlos Ghosn applique à la lettre l’impitoyable logique du texte: un moyen de restructurer à bon compte. N’y voir aucune coïncidence. Pour tester la flexibilité, le constructeur, membre actif de l’UIMM, a joué les éclaireurs. Et pour le Medef, il a servi de cheval de Troie.
Dans la lignée de «l’accord de la peur» conclu avec les syndicats espagnols en novembre dernier, qui a tiré les salaires et les conditions de travail dans un moins-disant social historique, les syndicats français sont sommés d’accueillir sans moufter les conditions qui leur sont proposées. Autrement dit, d’accepter la mise en concurrence entre les sites du groupe, donc entre les peuples, en validant la coupe des effectifs. Faute de quoi, les dirigeants menacent de fermer un site en France, tout en continuant de verser des millions d’euros aux actionnaires… Un chantage inqualifiable!
Arnaud Montebourg roule en Zoé électrique.
D’où notre question du début: comment une entreprise détenue à 15% par l’État peut-elle se comporter ainsi? Hier, le ministre du Redressement productif a exprimé la position du gouvernement. «Il n’y a pas, pour nous, un certain nombre de lignes rouges qui ont été franchies», a bafouillé Arnaud Montebourg, visiblement mal à l’aise. Selon lui, il n’y aurait pas de plan social, pas de licenciement, pas de fermeture d’usine, tout cela se déroulerait même dans le «cadre normal» de la gestion des effectifs. Vous avez bien lu. Cette interprétation de «la ligne rouge» est assez tragique… À ce propos, «l’État actionnaire» relève du ministère de l’Économie: mais où est donc passé Pierre Moscovici? Et où est le «changement de cap industriel» qu’il vantait personnellement avant mai dernier?

Alors que le marché de l’occasion explose, personne ne peut contester les difficultés d’un secteur automobile où les constructeurs français ne sont pas épargnés. Mais d’où viennent ces difficultés? Du sacro-saint «coût du travail» ou de la crise du pouvoir d’achat? En 2012, les immatriculations en Europe ont reculé de plus de 8%. Et quels sont les pays où le marché a le plus sombré? La Grèce et le Portugal (–40%), l’Italie (–20%), l’Espagne (–13%). Pas besoin de sortir de l’ENA ou d’HEC pour comprendre que là où l’austérité frappe le plus, les niveaux de vie s’effondrent…

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 17 janvier 2013.]

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