mercredi 23 janvier 2013

Eric Boyer: «D’autres langues vont se délier»

Article invité: par Eric Serres.

Entretien avec Eric Boyer, ex-manager de l’équipe cycliste Cofidis, aujourd’hui soutien de la candidature de l’Américain Greg LeMond à la présidence de l’Union cycliste internationale. Il décrypte la séance d’aveux télévisés de Lance Armstrong.

Eric Boyer.
Les aveux de Lance Armstrong vous ont-il surpris ?
Éric Boyer. Non ! Depuis les révélations du rapport de l’Usada (agence américaine de lutte contre le dopage), il était sous la pression de l’opinion publique. Il était impossible de ne plus croire qu’il ne s’était pas dopé. Armstrong a été suspendu à vie, il n’a plus de palmarès. Tout s’est écroulé autour de lui. Ses sponsors l’ont lâché, sa fondation est en mauvaise posture depuis les révélations, des procès vont être en cours. Il a compris qu’il était temps pour lui de s’exprimer sur ce qu’on lui reprochait, ne serait-ce que pour rebondir dans le business, redonner un sens à sa vie. Mais je ne suis pas dupe.

Vous ne croyez pas à la sincérité de sa démarche?
Éric Boyer. Ce sont des aveux calculés, coachés même. Il n’y a aucune émotion, aucune spontanéité. En l’écoutant, je n’ai, à aucun moment, eu envie de lui tendre la main...

Vous semblez déçu par ce qu’il a pu dire?
Éric Boyer. Oui et non, c’est du Armstrong dans le texte. Tout en calcul. Exemple, lorsqu’il donne le nom des médicaments qu’il a utilisés, il n’en dit pas plus. Or, on sait très bien que ces médicaments-là ne s’achètent pas à la pharmacie du coin. Il ne nous a pas parlé de sa collaboration avec le docteur Ferrari et peut-être d’autres médecins, et c’est dommage. Et puis, la grande question, avec tous les produits qu’il prenait, est comment a-t-il pu être négatif à tous les contrôles? On aurait aimé qu’il évoque ses relations plus qu’amicales avec l’Union cycliste internationale (UCI) et, notamment, son ex-président Hein Verbruggen.

N’est-il pas dans l’obligation de réserver ses révélations aux instances judiciaires américaines ou même à l’Usada?
Éric Boyer. Sans doute, mais au moment où il commence à parler, personne ne lui a proposé d’aller sur un terrain plus officiel. Il aurait donc pu en dire plus. J’ai surtout le sentiment qu’il ne veut pas en parler du tout. Peut-être que si demain, il est convoqué de manière plus officielle, il ne pourra plus faire autrement. Peut-être aussi qu’autour de lui les langues de ses proches vont se délier.

Peut-on réellement assister à un grand déballage?
Éric Boyer. Il faut surtout que tous les grands décideurs du cyclisme mondial, tous ceux qui n’ont pas de casseroles derrière eux, se réunissent autour d’une table et tapent du poing une bonne fois pour toutes. Les autres doivent disparaître de ce milieu.

Que pensez-vous de la réaction du président de l’UCI, Pat McQuaid, après qu’Armstrong l’ait disculpé de toute complicité?
Éric Boyer. Je pense qu’il est soulagé. Son communiqué de presse c’est presque: «Yes ! Il n’a pas parlé de nous. Ouf!» C’est un soulagement pour lui et il peut, du coup, dire: «Vous voyez, nous n’avons rien n’a nous reprocher.» Mais quand il dit – peut-être – vouloir utiliser l’expérience d’Armstrong dans une commission pour lutter contre le dopage, là on dépasse l’entendement et la décence. Mais que l’UCI se rassure, si ce n’est pas Armstrong qui parle, d’autres le feront et preuves à l’appui. Il faut juste être patient. La vérité va bientôt être mise à nu.

[ARTICLE publié dans l'Humanité du 21 janvier 2013.]

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