vendredi 30 septembre 2011

Doute(s) : quand les scientifiques nous donnent une leçon de modestie...

Relativité. Puisque la possibilité pour un geste 
de ne pas arriver à destination est l’une des conditions du mouvement de désir qui autrement avorterait d’avance, il n’est pas anodin que, de temps à autre, les sciences elles-mêmes viennent nous confirmer que l’indécidable 
à cent pour cent est tout sauf paralysant ou négatif. Ce que viennent d’annoncer les chercheurs du CNRS et du Cern, l’organisation européenne pour la recherche nucléaire, près de Genève, soulève notre imagination et, métaphoriquement, élève notre conscience plus haut que la «réalité» communément admise… Soutenue par le squelette des habitudes, notre carcasse humaine a périodiquement besoin d’être secouée : c’est le cas ! Les scientifiques du plus grand laboratoire de physique du monde ont donc découvert que des particules pouvaient voyager plus vite que la lumière. Annonce si extravagante, si invraisemblable, qu’elle bouscule l’une des lois les plus ancrées dans notre imaginaire: la relativité selon Albert Einstein. Une relativité devenue toute relative. Qui aurait cru cela possible?

Temps. Ainsi, voyager plus vite que la lumière ne serait plus une idée sotte, uniquement soutenue par quelques illuminés férus de romans d’anticipation? L’équipe de physiciens, qui a passé six mois à tenter vaille que vaille 
de dénicher la moindre faille à leur découverte, sans y parvenir, a fini par croire en l’inimaginable. Oui, des neutrinos, ces particules fondamentales très légères qualifiées 
de «furtives», parties du Cern, sont arrivées 60 milliardièmes de seconde plus tôt que prévu à 730 kilomètres de distance, dans le laboratoire italien du Gran Sasso. Vous avez bien lu: 60 milliardièmes de seconde. Un souffle de rien du tout. Un infime espace-temps que seuls les érudits parviennent à quantifier. Et pourtant. Voilà un bouleversement retentissant aux conséquences inépuisables. Car aller plus vite que la lumière ouvre des perspectives prodigieuses, jusqu’à réactiver un rêve venu du fond des âges: l’abolition du temps…

Critiques. Cet excès de vitesse viole une vérité gravée dans le marbre selon laquelle rien ne peut dépasser une vitesse limite, baptisée «c», du latin celeritas, rendue célèbre par 
la formule qui relie énergie, masse et vitesse de la lumière dans le vide: E = mc2. Une vitesse élevée : 299 792 458 mètres par seconde. Forcément, les mots des premiers physiciens interrogés depuis une semaine laissent songeur. Exemple, Pierre Fayet, théoricien de l’École normale supérieure, qui déclare sans rire: «C’est vraiment… surprenant.» Avant d’ajouter: «La physique est une science expérimentale, donc, si un fait est scientifiquement établi, j’y crois. C’est ce qu’il va falloir vérifier avec minutie parce que cette observation défie l’entendement.» Face à cet éclatant apprentissage du «doute scientifique», variante importante du «doute méthodique», qui, pour tous les êtres pensants, ne devrait pas être une simple formule rhétorique, comment réagissent les scientifiques ayant mis au jour cette découverte? De la même manière. Ils disent ne pas comprendre et ne le cachent pas. Le directeur du Cern affirme en effet: «Lorsqu’une collaboration fait une observation aussi inattendue, sans pouvoir l’interpréter, l’éthique de la science demande que les résultats soient rendus publics auprès d’une plus large communauté, afin que ceux-ci soient examinés et pour encourager des expériences indépendantes.» Nous ne dirons jamais assez combien ces paroles forcent notre respect. Plutôt que d’asséner le fracas imbécile des certitudes – parfois ennemies de la vérité –, ces scientifiques ont préféré offrir à leur propre communauté tous les moyens critiques à disposition des savants. De nouvelles expériences seront menées, avant peut-être que ces pionniers finissent par élaborer de nouvelles lois… de la nature !

Intelligence. Une grande leçon de choses nous est ainsi offerte: la soif de savoir. Et une immense leçon de modestie: la volonté de se libérer des carcans idéologiques, sociaux ou économiques. Pour répondre à l’arrogance des vérités toutes tracées, voici la perplexité, le tâtonnement, la prudence. En ces temps de crise de civilisation, de replis, de peurs et de manichéismes, comment ne pas s’inspirer 
de cette liberté d’esprit? La fragilité et la fluidité des apparences qui ne cessent de s’abolir et de se remplacer ne doivent-elles pas nous obliger à l’humilité? Que nous l’acceptions ou non, toutes nos expériences sont frappées d’incertitudes, minées par une évanescence qui dénonce la faille ontologique de la vie humaine. Et si l’intelligence se mesurait parfois à la quantité de doutes qu’un esprit peut supporter?

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 30 septembre 2011.]

(A plus tard...)

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Cela deviendra intéressant à partir de 3 à 4 fois la vitesse de la lumière. On pourra envisager un voyage extrasolaire, actuellement c’est plus de l’ordre de la spéculation philosophique “60 milliardièmes de seconde”.

Anonyme a dit…

Magistrale démonstration !

Anonyme a dit…

d'autres "Einstein" se sont levés et se lèveront et cela devient également intéressant d'envisager un voyage extrasolaire pour rejoindre Kepler-16b, la planète aux 2 soleils découverte récemment par les astronomes américains selon des trvaux publiés mi-septembre aux Etats-Unis, une première dans les annales de l'astronomie, une planète à 2 soleils comme celle de Luke Skywalker dans "la Guerre des étoiles"...merci JED pour cet article qui nous change de la médiocrité politique des porteurs de valises et autres gouvernants et peopolitiques qui nous indigne et ne nous fait vraiment pas rêver...PAT