lundi 26 septembre 2011

Fête(s) : souvenirs de La Courneuve...

Les jours de Fête de l'Humanité restent longtemps en nous. Comme la trace de quelque chose qui nous dépasse... mais nous appartient à tous.

Fidèles. Puisqu’il n’est jamais trop tard, passons aux aveux. Même pour un citoyen engagé, l’irruption du génie collectif est toujours une sorte de commotion. De ces commotions réjouissantes parce que trop rares ! Osons l’écrire : par la Fête de l’Huma s’inventent des merveilles, s’érigent des résistances, s’élèvent des ambitions, s’expriment des rêves. Terre éphémère du nulle part ailleurs où il faut être orgueilleux (sous des 
tee-shirts frondeurs), hérétique (avec ses poings dressés), fidèle (en s’imaginant des apanages) et révolté (en revisitant ses mythologies d’émancipation)… Que dire encore, comment trouver les mots exacts, suggérer l’essentiel ? Et si la Fête, chaque année recommencée, ressemblait à un être aimé? Semblable et tellement différente à chaque retrouvaille. Évoquer un sentiment amoureux n’aurait donc rien d’une exagération ? Après tout, il n’y a que ceux qui n’y sont jamais venus qui 
ne connaissent pas la folie de la Fête, son inventivité populaire, 
son défi répété qu’elle seule s’impose, son ingéniosité créatrice à fendre l’âme, son impétuosité étincelante, comme une lumière qui frappe l’assombrissement d’une époque crépusculaire.

Paroles. Cette fierté de la Fête nous gonfle un peu. Et si l’on ne voit plus tout à fait ce que l’on voyait, on voit désormais en grand ce que les autres ne peuvent voir. Partout, la Fête nous offre à l’infini l’obsession de la différence en tant qu’elle exige 
de nous ce goût inné du commun. Si nous passons notre vie 
à établir les preuves de notre unicité, nous suons sang et eau 
à rassembler la réalité de nos multiplicités. Moments uniques. 
Où l’on croise la rumeur bruyante d’une France colérique. 
Où l’on hurle sa douleur d’un autre monde. Où l’on ose dire sans détour ce que l’on sait, pas seulement ce que l’on pense. 
«L’un des derniers espaces de liberté», confessa l’actrice Clémentine Célarié au public des Amis de l’Huma. «Un endroit où l’on sait partager plus pour partager mieux», ajouta l’écrivain Jean Rouaud, présent tout le week-end. «Un lieu où l’on comprend ce que signifie l’injustice sociale, celle de la classe des dominants et des puissances de l’argent», murmura 
un militant micro en main, qu'une foule attentive écouta, 
en silence, raconter son récent licenciement… Puis une femme déchira l’espace: «Les riches donnent, les pauvres partagent.» Une autre: «Je suis l’argent : hier quand on m’arrachait 
des pays pauvres, ça s’appelait du pillage, aujourdhui, 
ça s’appelle du business.» 


Indignés. Et une toute petite voix, de moins en moins seule, défia l’immensité du parc de La Courneuve: «En cette époque où l’individualisme et le consumérisme dominent, 
nous devons encore nous agrandir, tous autant que 
nous sommes, nous hisser au-delà de ce que nous imaginons, nous transformer pour que ce qui nous unit soit plus fort 
que ce qui peut nous diviser !» Eux savent que l’insouciance est devenue un luxe qu’ils ne gouttent guère. Eux comprennent que les nouvelles générations ont été accouchées dans la souffrance du mondialisme (la gouvernance globale) et la mise à l’échelle de la mondialisation (le partage des techniques sur tous les continents). Indignés par les stratégies financières et logistiques qui ont pris le pas sur les stratégies politiques jadis étayées 
sur les droits des citoyens. Alors? Comment «poursuivre» 
la Fête au-delà de septembre pour préserver en nous cette «trace» si éclatante qu’on voudrait qu’elle nous accompagne toute l’année ? Allégresse, devant l’exigence répétée d’un 
«autre monde» à bâtir, d’un «autre à-venir» à inventer et même d’un «changement radical de civilisation». Bonheur, aussi, 
des rencontres avec les lecteurs (merci !), tous tellement impliqués que la moindre phrase, le plus infime haussement 
de verbe semblent décortiqués, analysés, transmis çà et là...

Beauté. Pris dans nos songes parmi ce «peuple de 
la Fête», tandis que l’horizon formait des ourlets que seuls les songes pouvaient déplisser, comment pouvions-nous ne pas aimer le fond cidreux des nuages, les enluminures champagnées d’un soleil hésitant, les vapeurs des mots aux accents de grands crus lorsque tout enfin se désinhibe et que la surface des sentiments s’efface devant la profondeur du sens? Après une trentaine de Fêtes au compteur depuis l’adolescence, laissant filtrer, depuis, une intacte exaltation, le bloc-noteur sait que 
nous avons souvent tort du regret des choses passées. Car 
une chose est sûre, la Fête continue de vivre en se transformant. En elle, trois repères essentiels : la beauté des choses qui 
se terminent ; la beauté des choses qui naissent ou renaissent ; la beauté des choses qui durent. Dit autrement: comment résister à l’intemporelle fulgurance de sa poésie révoltée?

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 23 septembre 2011.]

(A plus tard...)

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci pour cette belle chronique consacrée à "notre" Fête de l'Huma. Merci surtout pour la fin de cet article, magnifique.

Anonyme a dit…

"la fête poétique vue par Ducoin nous transporte dans un ailleurs meilleur donc possible. La planète aux 2 soleils existe bien : le soleil de ses mots si beaux et chaleureux et le soleil de cette fraternité à la Courneuve. Merci JED.
PAT