1967. Jacques Anquetil vient à peine de tout déballer (il a avoué s’être dopé) que, sur la pente aride du Mont Ventoux, le Tour bascule dans l’horreur. Un homme meurt. Il est britannique. Il s’appelle Tom Simpson et son corps s’effondre là où la végétation disparaît brusquement, au détour d’un virage plus prononcé qu’un autre, là où le Ventoux ressemble à une lune (enfin) conquise par les hommes, bien après Chalet-Reynard.
Ici, il n’est plus que désert de caillasse illuminée par la blancheur chaude de l’été. 13 juillet, 13e étape, maudit hasard des chiffres. En tête de la course, Roger Pingeon grimpe avec un groupe, il ne sait pas qu’il sera le futur vainqueur à Paris, quelques jours plus tard. Derniers kilomètres de l’ascension, ceux qui répondent par la violence à la violence des hommes. Violence humaine, donc mortelle. Le journaliste de l'Equipe, Pierre Chany l’a raconté : « Simpson monte au ralenti, le regard perdu, la tête inclinée sur l’épaule droite selon une attitude qui lui est familière. »
L’harassante chaleur, conjuguée aux produits dopants, précipite un collapsus cardiaque qui jette l’homme à terre. Chany poursuit : « Deux à trois cents personnes forment un cercle, ignorant sans doute qu’un homme est en train de mourir. Sur la route, une trentaine de coureurs attardés passent sans un regard, trop préoccupés par leur propre souffrance. » Point final.
Connu pour brûler la vie par les deux bouts, coureur de talent, fantasque et sympathique, champion du monde sur route, Tom Simpson n’a pas trente ans quand le dopage le foudroie. La stèle à sa mémoire, sur les lieux mêmes de son sacrifice, a « pris racine sur les flancs d’une montagne de légende ensemencée dans des éclats de rocaille », comme l’a écrit notre confrère de l’Equipe Philippe Brunel.
Un carré de marbre froid balayé par les vents, sous le haut patronage de dieux locaux improbables à la colère tenace. Mausolée morbide où l’on s’arrête pour y déposer quelques offrandes symboliques : il faut s’y arrêter une fois pour mesurer la charge émotionnelle qui submerge le visiteur, passionné ou non de cyclisme. Y écouter ce silence venteux et, au-delà de la mémoire d’un homme, vouvoyer les cimes juchées entre Alpes et Méditerranée, et revendiquer sa modestie en toutes circonstances. Se faire petit. Vraiment tout petit.
Tom Simpson était-il une victime expiatoire d’un milieu de mensonges ? Evidemment. Comment oublier son regard à jamais figé sur ces photographies au moment même où l’on tente – en vain – de le réanimer ? « Je ne me soucie pas des contrôles, disait-il. Seuls m’importent les médecins qui me prescrivent des piqûres, ainsi que la manière de m’en servir. » Incroyable époque. Celle de l’empirisme et des premiers contrôles antidopage (1965-1966).
Né le 30 novembre 1937 à Harworth, d’une famille de mineurs, tenancier du Miner’s Wettave Club, le pub local, Simpson avait quitté l’Angleterre en 1959 pour Saint-Brieuc et y mener sa carrière de champion. Vite, très vite, le bruit court dans les pelotons qu’il se dope. Comme tout le monde, oui, mais « un peu plus que tout le monde », si l’on en croit la rumeur de l’époque. « Cela ne peut plus durer », répétait Gaston Plaud, son directeur sportif chez Peugeot. Roger Pingeon se souvient (in l’Equipe) : « Il n’est malheureusement plus là pour se défendre, mais la vérité m’oblige à dire, et je ne touche pas à sa mémoire en le disant, que Tom avait tendance à abuser. Il terminait souvent dans des drôles d’états. »
Michel Nédélec, ancien coureur et vainqueur d’un Bordeaux-Paris, se souvient lui aussi (je l’ai rencontré) : « Un jour, il m’avait confié qu’il voulait courir jusqu’à quarante-trois ans. Je lui avais dit : ‘’Mon pauvre, tu seras mort avant…’’ Si j’avais su ! Comme ces mots me sont cruels aujourd’hui… Dès 1965, on voyait qu’il manquait de lucidité. Il avait fait un malaise après le Tour de Lombardie, qu’il avait gagné cette année-là devant Motta. Entre nous, Tom exagérait vraiment dans sa préparation, mais, à l’époque, beaucoup de coureurs se laissaient griser par la vie. »
Ce 13 juillet 1967, dans les vapeurs de la pharmacopée, comme une ultime allégorie, un rêve de gloire s’est évanoui sur les pentes violentée du Ventoux. Bien sûr, les autres coureurs se défendirent et évoquèrent, après le drame, le fameux « cas isolé ». Tous sauf Jacques Anquetil, qui avait mis en garde deux jours plus tôt et qui, au soir du deuil, réclamait qu’on visita les chambres des coureurs pour « faire les valises ».
Dans les poches du maillot de Simpson, les médecins avaient en effet trouvé des plaquettes de Sténamine et du Tonedron. Mais qui se souvient que, la veille, son manager Daniel Dousset l’avait menacé ? Non parce qu’il se dopait mais parce que, sixième au général, il risquait de ne pas monter sur le podium à Paris…
A plus tard...
5 commentaires:
1967..J'avais 19 ans... La pemière mort d'un coureur en direct...Le Mont Ventoux, un lieu lunaire en effet, où l'on mesure que la stèle érigée ne peut nous convaincre qu'un homme peut perdre sa vie en la gagnant...
Bel interview d'Eric Boyer aujourd'hui dansl'Huma...Continuez ! Continuez ! Je fais connaître ce blog à un maximum de passionnés du cylisme...
moi aussi je m'en souviens j'avais 21 ans ...il y a peine une heure, j'écrivais le mot méditerannée(comme toi Jean Emmanuel, avec 1R et 2N)en fait c'est 2R et 1N , c'est pour la forme ; en attendant la fête de l'huma pour acheter ton livre et puis en passant félicitations pour l'ensemble de tes textes.
mbarrier@wanadoo.fr
Moi, en 1967, j'avsis quinze ans ... et je me souviens de Tom Simpson. J'avais eu la chance de le découvrir en 1960 (l'époque des jolies colonies de vacances !), au Col St Jean dans les Alpes, il était échappé ... et nous étions triste la veille notre favori Roger Rivière était tombé ans le Perjuret. Lui aussi sans doute victime ... des produits !
1967, le 18 juin présent à La Cipale pour l'Omnium des Etoiles. Six champions y participaient : Jacques Anquetil, Rudy Altig, Eddy Merckx présenté comme le grand espoir Belge, Dino Zandegu, Jean Jourden qui aavait remplacé Dino Zandegu ... et Tom Simpson.
Grâce à un coureur que je connaissais, Alain Le Grevés, j'ai eu la chance de rentrer dans le vestiaire et de faire signer le programme aux six champions.
Un programme que je conserve précieusement !
Entre les odeurs de pommade, j'avais eu l'occasion d'approcher des Géants ... et lorsque quelques jours plus tard Tom Simpson s'écroulait dans le Ventoux ... se fut pour un moi, très douloureux.
Bravo pour le blog ... et merci à Eric Boyer de l'ouvrir ...
La bataille contre le dopage doit se poursuivre ... mais il ne sera pas simple de la gagner !
A tous, sachez que je suis très honoré des messages que vous laissez sur ce blog. Permettez une mention spéciale à Michel Barrier, un élu (d’un département cher à mon cœur) que j’apprécie énormément pour son énergie et son courage politique, un homme qui fait honneur à l'action publique. Je lui transmets par ce blog ma chaleureuse amitié pour les combats qu’il mène au nom des citoyens que nous sommes !
JED
Le chapitre 3 est très émouvant. La mort du britannique "dans la blancheur de la caillasse"... magnifique. Oui, c'est tout à fait cela. Pour cet épisode, Ducoin traite le Tour comme une corrida, quand la "mise à mort" devient essentielle...
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