La Roche-sur-Yon (Vendée), envoyé spécial.
Au cœur de cette machine à distordre le temps qu’est le Tour de France et qu’il maîtrise d’ordinaire jusque dans les détails secondaires, Chris Froome, depuis samedi, nous donne à contempler un regard si nu qu’il ne dit rien de ses tourments intimes et assez peu de ses rêves délicieux. S’il devait écrire le protévangile de son aventure de Juillet 2018, qu’il souhaite imprimer d’une encre mythique capable de le hisser au rang des intouchables, sans doute ne saurait-il plus par où commencer ni à quels saints se fier pour se raccrocher à son hégémonie. Son visage diaphane témoigne. Quant à ses mots, ils se figent dans la matière inerte des banalités. Une chute stupide, samedi ; et une minute de perdu dans le final vers Fontenay-le-Comte. Des spectateurs qui fêtent ce fait de course piquant. Et des suiveurs qui se prennent déjà à psychologiser le personnage. Pour les uns, une sorte de justice immanente a frappé ; pour d’autres, cette culbute contresigne une fébrilité évidente.
Lui tente de répondre, en minimisant l’événement. «Je suis tombé, mais on sait que les
premiers jours du Tour sont toujours piégeux, et les prochains seront aussi
dangereux, cela fait malheureusement partie du jeu. Je roulais dans la première
partie du peloton, dans le top 30, les gars ne pouvaient pas me mettre dans de
meilleures conditions. Beaucoup de coureurs frottaient, c'est devenu chaotique
avec les sprinteurs et leurs coéquipiers, je n'ai pas pu éviter de tomber.»
Le
quadruple vainqueur traîne des entailles à l'épaule et au coude droit. Mais son potentiel physique ne semble pas
entamé, avant le contre-la-montre par équipes de ce mardi (35,5 km), au cours
duquel l’armada Sky pourrait bien assommer la concurrence. «C'est le
vélo, je suis content de ne pas être davantage blessé et il y a encore beaucoup
de route jusqu'à Paris», ajoute-t-il.
Une invitation à oublier.
Néanmoins, que se
passe-t-il dans les coins reculés de son cerveau? Sifflé tous les matins au
village-départ de même que sur le bord des routes par un public énervé qui,
cette année, étale ostensiblement son hostilité au point de donner des sueurs
froides aux organisateurs, Chris Froome concentre toutes les rancoeurs passées,
présentes et même futures, comme s’il convenait de déconstruire par
anticipation un cinquième triomphe possible.
L’affaire du Salbutamol, débutée en
septembre 2017, occupe tous les esprits. Ces derniers mois, dans l’attente de
la sentence, le boss des Sky a pourtant prouvé, dans l’allégresse clinique de son
triomphe sur le Giro, que l’incertitude qui planait au-dessus de son statut ne
nuisait pas vraiment à ses performances. Blanchi mais pas absous, le
Britannique peut-il encore fracasser la légende, quitte à abolir la
sienne?
En ce jour d’extrême chaleur, sur un parcours plat comme le bocage vendéen entre Mouilleron-Saint-Germain et La Roche-sur-Yon (182,5 km), ville fondée par Napoléon en 1804, chacun retenait son souffle afin de savoir si la dramaturgie de l’épreuve allait connaître un épisode aussi mouvementé que la veille – preuve que sans prologue la Grande Boucle s’octroie un surplus d’imprévisibilité. Une étape limpide en vérité. Trois hommes s’extirpèrent à l’avant: le Néo-Zélandais Dion Smith, l’Autrichien Michael Gogl et le Français Sylvain Chavanel (Direct Energie). Ce dernier se retrouva seul. Une improbable mais prestigieuse épopée. A 39 ans, pour sa dix-huitième participation consécutive – un record absolu –, le coureur de Jean-René Bernaudeau disputait là sa 350e étape, série en cours. Si par bonheur il parvient à franchir les Pyrénées, il dépassera Joop Zoetemelk, qui trône pour l’instant en haut des tablettes : 365 jours (en 16 Tours entre 1970 et 1986). A treize kilomètres de l’arrivée, le scénario chavira dans le commun. Lors des étapes de plaine, la chasse aux fuyards reste un rituel immuable qui répond à des règles bien précises et à une statistique éloquente : à l’heure des GPS, l'échappée est reprise 99% du temps. Résultat, nous assistâmes à un sprint – en petit comité après une chute collective – duquel s’extirpa l’inamovible Slovaque Peter Sagan (Bora).
En ce jour d’extrême chaleur, sur un parcours plat comme le bocage vendéen entre Mouilleron-Saint-Germain et La Roche-sur-Yon (182,5 km), ville fondée par Napoléon en 1804, chacun retenait son souffle afin de savoir si la dramaturgie de l’épreuve allait connaître un épisode aussi mouvementé que la veille – preuve que sans prologue la Grande Boucle s’octroie un surplus d’imprévisibilité. Une étape limpide en vérité. Trois hommes s’extirpèrent à l’avant: le Néo-Zélandais Dion Smith, l’Autrichien Michael Gogl et le Français Sylvain Chavanel (Direct Energie). Ce dernier se retrouva seul. Une improbable mais prestigieuse épopée. A 39 ans, pour sa dix-huitième participation consécutive – un record absolu –, le coureur de Jean-René Bernaudeau disputait là sa 350e étape, série en cours. Si par bonheur il parvient à franchir les Pyrénées, il dépassera Joop Zoetemelk, qui trône pour l’instant en haut des tablettes : 365 jours (en 16 Tours entre 1970 et 1986). A treize kilomètres de l’arrivée, le scénario chavira dans le commun. Lors des étapes de plaine, la chasse aux fuyards reste un rituel immuable qui répond à des règles bien précises et à une statistique éloquente : à l’heure des GPS, l'échappée est reprise 99% du temps. Résultat, nous assistâmes à un sprint – en petit comité après une chute collective – duquel s’extirpa l’inamovible Slovaque Peter Sagan (Bora).
A La Roche-sur-Yon, dans une salle de presse plantée au
milieu des cités populaires à la mélancolie ouvrière à peine effleurée par les
coureurs, une phrase de Camus a jailli de nulle part dans notre
mémoire: «L’histoire n’est
que l’effort désespéré des hommes pour donner corps aux plus clairvoyants de
leurs rêves.» Plutôt que d’évoquer une hypothétique clairvoyance du
cyclisme moderne, le chronicoeur, qui tourne en rond sur cette terre de Vendée
depuis des jours, préféra penser au «Quatrevingt-treize» de Victor
Hugo: «La République en
danger. (…) Pour cela tous les moyens sont bons. Tous! tous! tous! (…) Pas
de demi-mesures. Pas de pruderie en révolution.» Et si le temps, pour
celui qu’on ne surnomme pas encore le Napoléon de Longwood, sortait de ses
gongs?
[ARTICLE publié dans l'Humanité du 9 juillet 2018.]
1 commentaire:
Bravo c'est parole d'évangile que de vous lire en ce temps de disette littéraire. Que ceux qui sifflent Froome sifflent avec même entrain les Bleus du foot, du rugby, les athlètes des jeux, les tennismen and women, les boxeurs, les navigateurs au large etc. Les cyclistes se soignent et les cons du bord de la route se dopent à la connerie !
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