Mouilleron-le-Captif (Vendée), envoyé spécial.
Les porte-mémoire, habitués à avancer dans l’indécis et l’illimité, cherchent toujours à éviter le naufrage, laissant quelques rescapés s’entre-déchirer pour rester à flot. Sauvé provisoirement des eaux : Christopher Froome. Le Britannique, quadruple vainqueur, prendra bien le départ, samedi 7 juillet, de la 105e édition du Tour de France, son enfant chéri, son «précieux», afin de réussir ce qu’il appelle «le défi le plus dur de (sa) carrière». Sans doute souhaite-t-il boucler la Grande Boucle en manifestant son dégoût des contingences corporelles et psychologiques, et jouer les trompe-la-mort en ignorant ce qui se dit de lui. Tout en fracassant les dernières traces légendaires du cyclisme. Une cinquième victoire, d’abord, ce qui le mettrait au niveau des monstres sacrés (Anquetil, Merckx, Hinault et Indurain). Et un enchaînement surréaliste, ensuite: Tour 2017, Vuelta 2017, Giro 2018, Tour 2018… Du jamais-vu. Il lui suffirait de se présenter au départ de la prochaine Vuelta, fin août, pour braquer définitivement l’Histoire et devenir le premier coureur à réussir le triplé des trois grands tours la même année. Que pourrions-nous alors écrire, qui traduise pleinement la confusion des sentiments et hisser des mots à la hauteur de notre stupéfaction?
Le grand bégaiement nous touche tous. Au point d’oublier que le Tour, pour subsister, n’a d’autre choix que de balancer entre la candeur de ses traditions et les exigences de la compétition moderne, poussées à l’extrême par l’armada Sky, organisée telle une multinationale du sport. Vingt ans tout juste après l’affaire Festina, le dossier Froome devrait occuper tous les esprits durant trois semaines.
Autorisé par l’Union cycliste internationale (UCI) à disputer l’épreuve malgré un contrôle anormal, le Britannique, blanchi in extremis après une procédure qui aura inutilement duré des mois, vient de renvoyer le cyclisme à ses heures les plus sombres. En début de semaine, les organisateurs l’avaient même officiellement récusé comme un paria des pires époques, au risque de s’aliéner l’équipe la plus puissante du monde. Les spectres rôdent. Et avec eux, cette suspicion infernale et légitime qui collera à la pédalée atypique d’un coureur indéfinissable en tant que genre. Beaucoup s’inquiètent d’ailleurs de la réaction du Peuple du Tour, forcément hostile sinon agressif, quand un Romain Bardet prétend renverser la table et que tout donne à penser, toutefois, que «tout change» mais que «rien ne change». En somme, peut-on et doit-on assister passivement à un énième épisode de Retour vers le futur? Admettons volontiers que, au fil des années, le temps et la justice passant, le cyclisme a réussi son improbable reconstruction. De même, reconnaissons que le Tour, monument national, n’a pas sombré dans le chaos annoncé en aliénant sa propre mythologie. Mais toute catharsis a ses limites. Et la course, déjà, se retrouve au second plan, sans savoir – cruauté du moment – si elle reprendra le dessus avant les Champs-Élysées. Le chronicœur aurait dû choisir une DeLorean. Pour remonter le temps. Ou le devancer.
Autorisé par l’Union cycliste internationale (UCI) à disputer l’épreuve malgré un contrôle anormal, le Britannique, blanchi in extremis après une procédure qui aura inutilement duré des mois, vient de renvoyer le cyclisme à ses heures les plus sombres. En début de semaine, les organisateurs l’avaient même officiellement récusé comme un paria des pires époques, au risque de s’aliéner l’équipe la plus puissante du monde. Les spectres rôdent. Et avec eux, cette suspicion infernale et légitime qui collera à la pédalée atypique d’un coureur indéfinissable en tant que genre. Beaucoup s’inquiètent d’ailleurs de la réaction du Peuple du Tour, forcément hostile sinon agressif, quand un Romain Bardet prétend renverser la table et que tout donne à penser, toutefois, que «tout change» mais que «rien ne change». En somme, peut-on et doit-on assister passivement à un énième épisode de Retour vers le futur? Admettons volontiers que, au fil des années, le temps et la justice passant, le cyclisme a réussi son improbable reconstruction. De même, reconnaissons que le Tour, monument national, n’a pas sombré dans le chaos annoncé en aliénant sa propre mythologie. Mais toute catharsis a ses limites. Et la course, déjà, se retrouve au second plan, sans savoir – cruauté du moment – si elle reprendra le dessus avant les Champs-Élysées. Le chronicœur aurait dû choisir une DeLorean. Pour remonter le temps. Ou le devancer.
[ARTICLE publié dans l'Humanité du 6 juillet 2018.]
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