Le leader d’Astana a dominé le Tour de bout en bout, redonnant à l’épreuve cette part de romantisme oubliée depuis longtemps. L’Italien, né en Sicile, vainqueur de quatre étapes, a presque réinventé la course.
Peraud, Nibali, Pinot. |
Si le chronicoeur sort un peu débraillé d’avoir vécu un Tour en partie conditionné par les chutes et les abandons, qui éloignèrent Chris Froome et Alberto Contador, il a gagné au moins l’intensité dramatique d’un récit qui ne ressembla à aucun autre. Il y eut l’attrait des Français retrouvés, bien sûr, et l’avenir supposé qu’ils ont laissé dans le sillage de leurs exploits. Il y eut l’étape dévalée sur les pavés du Nord, un jour de folie meurtrière, si exigeante et débridée qu’elle emprunta à la légende cette part du sublime qui tient lieu de référence. Il y eut aussi l’art chevaleresque des épopées montagnardes, les paysages dans leurs délires épiques et poétiques. Mais il y eut, d’abord et avant tout, le règne en maître de Vincenzo Nibali, qui a dominé de bout en bout, avec discrétion et sans esbroufe, une épreuve taillée à la démesure de son exception. «Pour gagner le Tour, il n’y a qu’une vérité, celle du courage», déclara-t-il, articulant méticuleusement les mots, approchant doucement, une à une, chaque syllabe au bord de ses lèvres avant de la laisser choir, plongeant toujours son regard noir dans les yeux de ses interlocuteurs.
Après trois semaines durant lesquelles il a laissé sous ses roues des corps vaincus, n’allez surtout pas déplorer devant lui l’absence de ses deux principaux rivaux désignés. «C’est faire injure à Valverde, à Pinot, à Péraud, à tous les autres, répliqua-t-il sévèrement. Pour moi, tous les meilleurs étaient là jusqu’au bout.» Nibali n’en douta jamais, les Froome et Contador, il les avait déjà devancés sur les routes à Sheeld, puis un peu plus tard, dans les ornières pavées vers Arenberg. «Vraiment, je regrette pour eux qu’ils aient chuté, mais moi, de mon côté, je m’étais préparé à les aronter, et je ne suis pas sûr qu’ils m’auraient repris deux minutes en montagne. Pour battre Froome et Contador, je savais que j’allais devoir réinventer la course, attaquer en dehors des Alpes et des Pyrénées. J’avais ma petite idée...» L’art de gagner le Tour n’a jamais été une grâce. Mais il a toujours fallu un don, plutôt des attributs supérieurs forgés dans une matrice singulière. Celle de Nibali se situa en Sicile, à Messine, à la pointe nord-est de l’île, d’où il apercevait le continent à quelques kilomètres. Une terre originelle où ses parents tenaient un magasin de cassettes vidéo sur le front de mer, mais qu’il dut quitter, pour rejoindre la Toscane, à l’âge de seize ans, afin d’apprendre son métier et se donner les chances de réussir. Ce fut au coeur des années Pantani qu’il s’érigea en jeune champion, dans cette Italie survoltée où l’on s’étonne toujours que le vélo n’ait pas été «inventé par Botticelli, Michel-Ange ou Raphaël», selon la formule de Curzio Malaparte. La nation de Coppi et Bartali était orpheline d’une victoire à Paris depuis le Pirate, en 1998. Elle exigeait de Nibali quelque chose d’inédit, de supérieur. Il a devancé les désirs, orant l’entr’aperçu d’un nouveau monde. Comme s’il n’était pas trop tard.
[ARTICLE publié dans l'Humanité du 28 juillet 2014.]
1 commentaire:
Merci cher JED pour ce Tour passé dans les colonnes de l'Huma. Sans toi, rien ne serait pareil, tu nous embarques dans un monde différent de celui des autres et ça ne nous laisse jamais indifférent. Quelle plume. Et quelle inventivité.
REMI
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