Depuis Oyonnax (Ain).
Le cyclisme, qui pourtant ne connaît pas le royaume du conditionnel, perd parfois la tête dans l’élaboration imaginative de ses propres scénarios. « Et si Nibali n’avait pas la carrure. » « Et si Valverde tentait le coup du siècle. » « Et si Porte revenait par la fenêtre. » Coincés depuis lundi soir à Besançon, érigée ville-repos, les suiveurs ont vécu sous vide le tic-tac des maîtres horlogers, hésitant entre le tourisme local et la traque de la fatuité des paroles dans la traditionnelle tournée des hôtels. Voulant d’abord contester l’un des concepts de l’enfant du pays, Victor Hugo - « La vie n’est qu’une longue perte de tout ce qu’on aime » -, le chronicoeur, accompagné de son Ange-gardien, a escaladé les sommets de la citadelle Vauban pour se mettre à distance des banalités d’usage qui tiennent lieu de dossards. Petit choc culturel. Et précipité d’un mélange des genres surréalistes : visite d’un zoo installé dans les douves du fort (vous lisez bien), d’une exposition sur la Résistance et d’une ancienne fonderie, tandis que, sur la place d’armes, quelques pauvres hères érigeaient les tréteaux où l’inénarrable Gérard Holtz, le soir même, donnait une représentation du « Mariage forcé » de Molière. Qu’on se rassure. S’il faut sacrifier aux exigences de ce grand théâtre du Tour où tout est possible, le meilleur comme le pire, il y a des limites à tout. Nous préférions les vrais trois coups. Ceux de la course.
Hier, entre Besançon et Oyonnax (187,5 km), les directeurs
sportifs ont enfin pu bronzer du bras gauche derrière les dos penchés de leurs coureurs.
C’était soleil de plomb (33°), pour une étape rendue moins simple que prévu,
qui dressait sous les roues des 179 rescapés quatre côtes dans les cinquante
derniers kilomètres. Ce ne fut qu’une bagarre feutrée entre les prétendants au
podium final. Les derniers échappés (Herrada, Gautier, Bakelants, Roche) ont
été repris peu avant le sommet de la côte d'Echallon, ultime bosse, et après
une descente à tombeau ouvert, Tony Gallopin (Lotto) parvint à s’extirper, puis,
au prix d’un authentique exploit, à contrarier la meute lancée à ses trousses, préservant
quelques mètres d’avance. Le Français avait porté le maillot jaune lundi, le
voilà auréolé d’une victoire d’étape. Devant pareille prestation, le chronicoeur,
à l’inconditionnel, décida de se ruer sur les produits du Bugey et d’offrir le
Molière à ce Gallopin au verbe haut – et à lui seul. Hier soir à Oyonnax, Gérard
Holtz ne donnait aucune représentation théâtrale dans la ville qui reçut la
Croix de Guerre pour ses faits de résistance. Que du bonheur.
[ARTICLE publié dans l'Humanité du 17 juillet 2014.]
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