mercredi 20 octobre 2010

Révolté(s) : les citoyens n'ont jamais tort d'avoir raison...

Souffrance. «Et moi, vous croyez que je suis un citoyen “normal” ?» Soir de manif(s) au coin du zinc. L’œil de notre interlocuteur, rougi par des effluves de lacrimo, vira au sombre très sombre, comme l’expression tout en rage d’une formulation ayant du mal à s’affirmer. Nous sentions là tout le mal intellectuel qu’il lui avait fallu pour oser énoncer cette question le concernant, en vertu de quoi, il s’obligea à préciser son propos. «Pensez-vous vraiment qu’un chômeur de longue durée, ce qui est mon cas, qu’un allocataire du RMI, bref qu’un jeune qui galère depuis des années soit reconnu et traité comme un individu à part entière ? Non !» Bientôt vingt-cinq ans, plus de trois ans sans emploi stable, pas de perspectives rapides. Quant à la retraite : «Si on ne se bat pas aujourd’hui pour sauver nos derniers droits, après ce sera trop tard… et moi je serai mort bien avant 65, 67, voire 70 ans !» Face à ces mots de souffrance portés par une émotion si sincère, le chronicœur se demanda deux choses. Que dire qui ne soit que compassion, quand tout nous invite à l’insurrection ? Par quel miracle ces victimes de l’insécurité sociale traduisent encore leur colère par les voies ordinaires, alors qu’ils ressemblent tant aux exclus de la société préindustrielle ou aux prolétaires du début de l’industrialisation ?

R-évolution. Chacun aura compris l’importance – la gravité – de la dernière question posée. Dans cette société de l’excès marchand, où les bornes «classiques» de l’injustice nous paraissent toujours plus éloignées, où le mot «crise» en cache tant d’autres, où la course effrénée contre la précarisation de nos vies épuise tous les recours au calme, il semble que l’expression même «luttes dures» ait été une bonne fois pour toutes bannie. Nous ne parlons pas là de «violence», encore que sa possibilité même, au-delà de la peur qu’elle suscite légitimement, ne saurait être exclue, en général, et plus particulièrement lorsqu’un conflit social de grande ampleur se cherche un point d’aboutissement. Les «luttes» font peur quand elles deviennent «dures». À qui la faute ? Comment les éviter ? Qu’est-ce qu’une action de «droit» et une qui ne l’est plus ? Et qui le décrète quand l’État lui-même, moins républicain qu’il n’y paraît, octroie la légitimité des pensées et desdites actions selon que celles-ci se soumettent non plus seulement au droit mais au diktat de sa volonté d’airain ?

Régime. Poussons le bouchon et notre avantage théorique : qui dit «luttes sociales dures» dit «révoltes» ; qui dit «révoltes» peut très bien dire «révolution» (qu’elle soit «citoyenne», «populaire» ou orthographiée «r-évolution»). Pas de procès d’intention : qui se laisserait tenter aujourd’hui par une r-évolution au point de penser qu’elle doive en passer par la violence ? Question : puisque beaucoup d’observateurs depuis une semaine craignent une «ambiance pré-Mai 68», voire carrément «un climat pré-révolutionnaire» (ce que nous ne croyons pas, cela va sans dire), n’est-ce pas significatif du fait qu’ils se sentent tous plus ou moins dans une sorte d’Ancien Régime ? Le révolté aurait-il tort d’avoir raison ? Revenons aux victimes de l’insécurité sociale et à leur «statut», non plus de citoyens, mais d’individus, puisque paraît-il le citoyen serait désormais une valeur désuète… Le processus de promotion (version pub) de l’individu, en effet, se prolonge et s’intensifie à mesure que l’égocentrisme et le chacun pour soi devient la dernière valeur refuge du consumérisme.

Conscience. Alors ? Ces individus précarisés dans la masse sont-ils encore des individus ? La réponse 
est non. S’ils ont certes des affects, des désirs, des angoisses 
et des envies, qu’ils éprouvent de l’amour et des plaisirs 
de vie (la vraie richesse), il leur manque ce que la République soi-disant soucieuse de l’intérêt général devrait leur devoir : les ressources pour pouvoir conduire leurs projets et être maîtres de leur avenir. La vie au jour le jour dans la dépendance 
du besoin n’est pas une vie, au point qu’on peut se demander si ces exclus involontaires de la communauté républicaine appartiennent oui ou non au «régime commun», à des années-lumière de la conception de l’individu libre et responsable que nous célébrons dans la lignée de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ! Alors que faire face à cette société dans laquelle l’incertitude augmente d’une manière exponentielle parce que les «régulations» collectives sont au mieux défaillantes au pire pulvérisées ? Ici-maintenant : participer activement au mouvement social, dont la puissance et la sérénité ont de quoi effrayer Nicoléon. Et dans le même temps : ne surtout pas renoncer à notre histoire sociale commune en participant à la prise de conscience politique (c’est le mot), pour que peur et violence potentielle se transforment en objectif collectif capable de renverser les dominants, qui, eux, contrairement aux classes populaires, n’ont pas besoin de manifester pour accroître leur condition. Ne l’oublions jamais. Les puissants ne formulent qu’un rêve immuable à travers les âges : que l’effondrement des consciences et la soumission des peuples soient massifs. Les occasions de le contester tout aussi massivement sont trop rares – pour ne pas en profiter.

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 16 octobre 2010]

(A plus tard...)

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci à JED pour ce très beau texte, à la fois émouvant et interrogatif sur les luttes. Je signale aux internautes qui aiment ce blog que, de manière complémentaire, ils devraient lire le point de vue de Georges Séguy publié par l'Huma ce matin. Lecture très intéressante elle aussi !!!

Anonyme a dit…

Il n’ y a pas de loi qui impose l’asservissement des uns par les autres, il y a ceux qui se complaisent à servir les riches pour qu’ils fassent leur richesse sur le dos des travailleurs en amoindrissant le revenu et en alourdissant les conditions du travail ,le capitalisme, la financiarisation sont nés par le patronat en dévoyant l’argent qui est le fruit du travail et qui devrait être réparti entre tous. Il y a ceux qui estiment que la répartition entre actifs, retraités, et ceux qui ont besoins de la solidarité doit se faire et, d‘ailleurs ils sont de plus en plus entendus.
Il y a ceux qui luttent dans les entreprises pour que l’argent dégagé par la productivité du travail ne soit pas dévoyée pour alimenter la bourse, mais réparti justement entre tous. Comme souvent malheureusement il faut manifester un jour de repos pour que le maximum de gens puisse dire le ras le bol qui est le leur ,contre la politique qui est menée par les représentants du capital qu’ils soient (président, députés, sénateurs) ; il ne faut pas oublier que c’est la loi votée qui fait que la vie est sociale pour tous ou financière pour une poignée de privilégiés.
Je sais qu’il n’est pas toujours bon de regarder en arrière sauf pour savoir que le progrès social a été obtenu des possédants par le rassemblement solidaire des travailleurs au niveau syndical dans la CGT et politique dans le PCF voilà comment la solidarité a été obtenue car les communistes représentants les travailleurs au sein de l’assemblée
nationale avaient une force de 30% des voix. Rien n’a été obtenu des possédants sans lutte et rassemblement des travailleurs.
Ce qu’il faut pour la répartition du revenu du travail intégrale c’est un vrai changement politique ,et non un accompagnement du capital en essayant de corriger ses abus, il faut que tous ceux et toutes celles qui en dépendent pour vivre dignement se rassemblent dans un parti ,pour être représenté(e)s. Le seul qui a fait ses preuves dans toutes assemblées par les hommes et femmes qui le compose: c’est le parti communiste français.
Quand il faut en arriver à se mettre en grève en perdant de l’argent pour la justice sociale .Pour beaucoup c’est injuste car, un bulletin de vote ne Coûte que le temps et le déplacement vers le bureau pour accomplir son devoir de citoyen (déposer dans l’urne son choix politique, en sachant ce qu’on représente dans et pour la société). Que le patronat d’où découle le capital s’offusque avec ses représentants élu(e)s (députés, sénateurs, président, conseillers régionaux, généraux et municipaux, de droite, son extrême et du centre) parce que les travailleurs s’élèvent par la grève et que tout le monde du travail manifeste contre l’injustice sociale qu’ ils veulent imposer par la loi ; ça me parait logique.
Mais que des gens profitent des acquits obtenus par la lutte, qu’elle soit générale au niveau du pays ou au sein d’une entreprise là ! ils ne devraient pas en profiter car c’est indécent pour ceux qui ont lutté en perdant de l’argent faute d’un pourcentage massif dés le début. De plus il y a des gens qui feraient mieux de ne pas se faire remarquer tant leurs écrits sont nauséeux (souvent malheureusement envers leur classe).
Peut être me suis-je répéter dans cet exposé mais, il y a deux choses que je sais: (l’intelligence est innée pour peu qu’elle soit développée et que l’instruction s’acquiert en allant à l’école) ce qui veut dire qu’on peut être instruit et avoir l’intelligence au ras du sol.

Anonyme a dit…

Par un vote du 3 septembre 2010, les députés ont rejeté à la quasi-unanimité l'amendement n°249 Rect. proposant d'aligner leur régime
spécifique de retraite (dont bénéficient également les membres du gouver...nement) sur le régime général des salariés.
Alors qu'ils n'ont de cesse d'expliquer l'importance de réformer rapidement un régime de retraite en déficit, les parlementaires refusent donc d'être soumis au régime de retraite de la majorité des Français.
C'est ce qu'ils appellent une réforme "juste" paraît-il ! L'Huma devrait en parler...

Anonyme a dit…

Ce qu'on ne nous dit pas, c'est qu'il y a une quarantaine d'années, l'État français n'était pas endetté, à l’instar de la plupart des autres nations, d'ailleurs. En moins de quarante ans nous avons accumulé une dette colossale qui avoisine les 1200 milliards d'euros! Pourquoi? S'est-il produit quelque chose qui a fait que l’on ait soudain besoin de recourir à l'emprunt, alors qu'auparavant on se suffisait à nous-mêmes? Et si tel est le cas, qui en bénéficie vraiment? Qui émet la monnaie? André-Jacques Holbecq et Philippe Derudder nous disent les vraies raisons de la dette et dénoncent les mécanismes destructeurs scrupuleusement occultés. Vulgarisateurs de la « chose économique », leur but est de permettre aux citoyens de « savoir », afin qu'ils ne se laissent pas impressionner par les épouvantails que l'on agite sous leur nez. Afin de comprendre surtout que nous avons tout pour relever l'immense défi humain et écologique de notre temps et que la dette et l'argent ne sont que « vrais-faux » problèmes...
DANI