jeudi 9 juillet 2009

Quand LeMond rend hommage à Fignon, malgré tout...

Je ne sais si vous lisez d’autres journaux que l’Humanité pendant juillet, en particulier les articles consacrés au Tour de France. Outre les chroniques de Philippe Brunel dans l’Equipe (très brillant journaliste), je dois vous avouer que je suis très étonné par la qualité des chroniques de l’ancien cycliste américain, Greg LeMond, vainqueur des Tours 1986, 1989 et 1990, publiées quotidiennement dans Le Monde.

Avec un ton mordant, accrocheur et une intelligence de style assez rare dans le milieu, qui témoigne d’une liberté d'esprit engageante, le premier américain de l’histoire à avoir triomphé sur les routes de la Grande Boucle distille chaque jour quelques vérités plaisantes à lire. Ne fuyant aucun sujet (il a eu le courage de s’attaquer à Armstrong lors d’une longue procédure judiciaire), LeMond a publié, avant-hier, un papier intitulé « Laurent, mon ami », dans lequel il évoque, de manière touchante, la figure de Laurent Fignon, son ancien équipier chez Renault Gitane jusqu’en 1985, puis l’un de ses principaux adversaires. Remember 1989…

Greg LeMond écrit : « Ce qui m’a réjoui le premier week-end du Tour, c’est d’entendre la voix de Laurent Fignon. Vingt ans après notre fameux duel pour le maillot jaune, on se retrouve dans un curieux parallèle : lui commentateur à la télévision, moi chroniqueur dans un journal. J’étais sous le choc, il y a trois semaines quand j’ai appris que mon ami et ancien coéquipier souffrait d’un cancer. »

Les mots d’affection à l’égard du champion français, frappé par le cancer, arrivent quotidiennement à ses oreilles. Coureurs actuels, anciens coursiers, dirigeants, spectateurs… LeMond précise : « Laurent est une personne très intelligente et dotée d’une volonté de fer. J’espère que ces deux armes lui permettront de vaincre son cancer et de vivre encore de nombreuses années dans la joie et le bonheur. »

Dans cette même chronique, l’Américain dit néanmoins son étonnement, pour ne pas dire sa déception (ce que l’on peut comprendre), d’avoir lu dans la presse un mot extirpé (certains sont forts pour ça) du livre de Laurent Fignon, « Nous étions jeunes et insouciants » (Grasset). Le mot en question est « hypocrite ». Et il le concerne directement. Si LeMond s’est senti blessé, il n’est quand même pas vain d’être précis, du moins pour la bonne compréhension des choses.

Or il est aisé pour moi de l’être (précis), puisque, comme vous le savez, je suis le co-auteur du livre en question. Alors, que déclare Laurent Fignon très exactement ? Voici le passage incriminé, en intégralité : « LeMond est quelqu’un qui a toujours fait attention à son image auprès du grand public et de la presse avec laquelle il a entretenu des rapports plus qu’amicaux, tout en douceur, tout en rondeur, sans jamais dire ce qu’il pensait vraiment, sans s’exposer, sans se livrer, flirtant en permanence avec l’hypocrisie. Moi je n’ai jamais su faire ça. Pour quel intérêt ? Pour quelle raison ? J’ai toujours préféré rester moi-même. »

Pour avoir personnellement participé au Tour de France 1989 (c’était d’ailleurs mon premier) et, surtout, pour avoir souvent côtoyé LeMond jusqu’à la fin de sa carrière en 1994, je peux témoigner le plus humblement du monde que Laurent Fignon n’a pas tort. Pour ne prendre que ses rapports avec les journalistes, LeMond était en effet conciliant au-delà de la normale, ce qui le rendait évidemment sympathique. Certains parlaient de lui comme d’un « bon client ». Mais quelle était la part de sincérité ? Il y a prescription…

Car Greg LeMond, lui aussi très intelligent, dit vouloir tourner la page dans cette chronique donnée au Monde. Il poursuit : « Le Tour 1989 aurait dû avoir deux vainqueurs. Le palmarès officiel devrait faire apparaître deux noms sur la première ligne : Laurent Fignon et Greg LeMond. Nous avons tous les deux gagné cette course et nous l’avons tous les deux mérité. Je considère Laurent comme un triple vainqueur. » Et l’Américain l’assure : « Qui sait d’ailleurs combien de Tours il aurait pu gagner s’il n’avait pas souffert de blessures qui l’ont handicapé plusieurs années. Je le considère comme un de mes plus grands adversaires. »

L’homme, sincère, nous rappelle que les aventures de champions sont d’abord et avant tout des histoires d’hommes. Le champion d’exception (ils l’étaient tous les deux) cesse-t-il de l’être un jour ? Encore quelques mots de LeMond : « Ces qualités qui ont fait de lui un champion vont l’aider à surmonter cette période difficile. J’espère avoir l’occasion de retourner en France ces prochaines années et d’avoir ce dîner que nous avions fait lors de nos derniers Tours. Foie-gras, confit de canard et beaucoup de vin. J’en achèterai cette fois, Laurent ! »

Bel hommage. Belle émotion. Je veux assister à leurs retrouvailles. Le plus vite possible.

A plus tard…

3 commentaires:

Anonymous a dit…

Voilà une belle histoire d'hommes, en effet. Deux grands champions pour le meilleur et pour le pire...

Anonymous a dit…

Un grand merci à Jean-Emmanuel Ducoin, pour tous les plaisirs de lectures qu'il nous propose. Merci pour ses livres. Merci pour son bloc-notes du samedi, surtout : une MERVEILLE !!! Merci pour ses articles dans le Tour, qui, chaque matin, fait honneur à l'Humanité, par son écriture, son ton, son détachement intelligent. Merci aussi, donc, pour ce blog : je deviens moderne et je le lis chaque jour après les étapes.
Merci, merci !

Bernard CREUZER a dit…

Un grand merci aussi à Jean Emmanuel DUCOIN...Le Tour fait partie de mon "héritage culturel" depuis que je suis gamin (j'ai 61 ans), mais j'avoue que depuis quelques années, il y a moins d'excitation à chaque départ...Pire, cette année, je ne regarde même plus les étapes à la télé...Mais tous les matins c'est un pur bonheur de découvrir la chronique de Jean Emnanuel DECOIN dans l'HUMA...Je retombe en enfance!...
Cette chronique, c'est ma madeleine de Proust journalière...