Perte. Octobre avance et le soleil se consume dans le ciel comme une explosion de chagrin, disloqués aux tréfonds de nos êtres par la disparition de celui grâce auquel nos vies changèrent, non pas dans les marges de nos apprentissages les plus fondamentaux, mais en leurs cœurs mêmes. Michel Vovelle a donc pris la tangente, à l’âge de 85 ans, rejoignant les feux sacrés de ceux qui nous brûlent de bonheur depuis si longtemps. Puisque l’histoire n’est pas seulement une science du passé mais aussi une connaissance du présent avec l’épaisseur du temps, l’immense tristesse qui ne nous quitte plus ne s’explique pas que par la perte de l’ami, du camarade communiste (depuis 1956), du «père» spirituel (il détestait l’idée), du «maître» comme il y en eut si peu au fil de nos trajectoires respectives. Ce qui prend fin et nous retourne l’âme, ce que l’immense historien Michel Vovelle emporte avec lui, ce n’est pas ce que nous aurions partagé avec incandescence à un moment ou à un autre, ici ou là, dans le secret jalousé des lectures abondantes de son œuvre monumentale, c’est le monde même, une certaine origine du monde, la sienne sans doute mais celle aussi du monde dans lequel nous avons vécu, dans lequel nous nous sommes formés et battus, dans lequel il nous a transmis un savoir vital, et partant, c’est «notre» origine du monde en quelque sorte, une origine unique. Oui, une part de nous-mêmes vient de disparaître; de manière irréfutable. Comme nous semble irréfutable la possibilité qu’un monde différent apparaisse aux vivants – dans la mémoire et la fidélité de son legs.
Espérance. Dès lors, tâchons de triompher de l’angoissant par l’inouï. Ce que nous a enseigné Michel Vovelle, en pleine conscience, tient en une formule: quand nos contemporains font le deuil de l’Histoire majuscule, la politique est délavée et se délite. «Une longue lignée nous pousse dans le dos», nous disait-il souvent quand il était encore président des Amis de l’Humanité, lui, l’auteur de dizaines d’ouvrages de référence, en particulier sur la Révolution française dont il fut l’une des grandes autorités morales et éthiques, tenant en respect les arrogants – François Furet en tête – et autres histrions, jamais avares quand il s’agissait de détruire l’idée révolutionnaire dans son essence française… Après les deux Albert (Mathiez et Soboul) et avec Claude Mazauric (l’ami, le frère), Michel Vovelle eut l’exigence et la hauteur de vue comme ligne de conduite (ses travaux sur Robespierre en témoignent), tant et tant que certains, à sa suite, eurent peine et peur à se glisser dans ses pas. Penseur de la mort et de la dignité des fins de vies (lisez absolument "la Mort et l’Occident de 1300 à nos jours", Gallimard, 1983), directeur de l’Institut d’histoire de la Révolution française de 1981 à 1993, il s’efforça même, par son regard neuf, d’être un trait d’union avec l’école des Annales, rétablissant l’importance des personnalités ou des facteurs individuels dans l’action de tous les protagonistes de la grande Révolution. Dans son dernier livre, "Mémoires vives ou perdues, essai sur l’histoire et le souvenir" (Éditions de Paris-Max Chaleil), il s’interrogea sur «La mémoire perdue de la Révolution française», titre d’un chapitre éblouissant de lucidité. S’il nous mettait en garde contre l’«érosion» de l’air du temps, il demandait: «La révolution est-elle “terminée”?» À ses yeux, ce slogan «est désormais banalisé» et ce «raccourci pour le moins pauvre de la pensée» veut abolir «définitivement l’idée de révolution, rangée au rang des illusions maléfiques». Et il poursuivait: «Devait-on voir dans les grandes secousses où s’abîmait le système socialiste le retour d’une veine révolutionnaire, comme le prophétisait Edgar Morin, ou au contraire des contre-révolutions?» Que serait notre destin, en puisant inlassablement dans le legs de Michel Vovelle, si nous ne savions pas que l’espérance reste violente et que nous continuerons d’entrer dans l’avenir à reculons, par et pour l’Histoire… en majuscule?
Espérance. Dès lors, tâchons de triompher de l’angoissant par l’inouï. Ce que nous a enseigné Michel Vovelle, en pleine conscience, tient en une formule: quand nos contemporains font le deuil de l’Histoire majuscule, la politique est délavée et se délite. «Une longue lignée nous pousse dans le dos», nous disait-il souvent quand il était encore président des Amis de l’Humanité, lui, l’auteur de dizaines d’ouvrages de référence, en particulier sur la Révolution française dont il fut l’une des grandes autorités morales et éthiques, tenant en respect les arrogants – François Furet en tête – et autres histrions, jamais avares quand il s’agissait de détruire l’idée révolutionnaire dans son essence française… Après les deux Albert (Mathiez et Soboul) et avec Claude Mazauric (l’ami, le frère), Michel Vovelle eut l’exigence et la hauteur de vue comme ligne de conduite (ses travaux sur Robespierre en témoignent), tant et tant que certains, à sa suite, eurent peine et peur à se glisser dans ses pas. Penseur de la mort et de la dignité des fins de vies (lisez absolument "la Mort et l’Occident de 1300 à nos jours", Gallimard, 1983), directeur de l’Institut d’histoire de la Révolution française de 1981 à 1993, il s’efforça même, par son regard neuf, d’être un trait d’union avec l’école des Annales, rétablissant l’importance des personnalités ou des facteurs individuels dans l’action de tous les protagonistes de la grande Révolution. Dans son dernier livre, "Mémoires vives ou perdues, essai sur l’histoire et le souvenir" (Éditions de Paris-Max Chaleil), il s’interrogea sur «La mémoire perdue de la Révolution française», titre d’un chapitre éblouissant de lucidité. S’il nous mettait en garde contre l’«érosion» de l’air du temps, il demandait: «La révolution est-elle “terminée”?» À ses yeux, ce slogan «est désormais banalisé» et ce «raccourci pour le moins pauvre de la pensée» veut abolir «définitivement l’idée de révolution, rangée au rang des illusions maléfiques». Et il poursuivait: «Devait-on voir dans les grandes secousses où s’abîmait le système socialiste le retour d’une veine révolutionnaire, comme le prophétisait Edgar Morin, ou au contraire des contre-révolutions?» Que serait notre destin, en puisant inlassablement dans le legs de Michel Vovelle, si nous ne savions pas que l’espérance reste violente et que nous continuerons d’entrer dans l’avenir à reculons, par et pour l’Histoire… en majuscule?
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 12 octobre 2018.]
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