jeudi 18 octobre 2018

Salaud(s)

Éric Zemmour, l’Action française revisitée. 

Histrion. Ainsi donc, en moins d’un mois, l’ignoble Éric ­Zemmour aura monopolisé l’usage polémique de la parole obscène. La mécanique? Bien huilée. La dialectique? Machiavélique et faussement savante. Le propos? Souvent ordurier et insupportable, mais surtout ultrapolitique. Continuant de se sentir porté par des vents crépusculaires, identitaires et xénophobes dont il cherche à attiser la puissance, le porte-parole des nationalistes et de l’extrême droite aspire toujours au statut de «Maurras du XXIe siècle», abusant de tous les codes mis à sa disposition, en particulier quand il publie un nouveau livre. Quelle meilleure publicité que l’outrance et le chaos de la pensée? Souvenons-nous de ce qu’il écrivait dès 2014 dans "le Suicide français" (Albin Michel): «Maurras exalta jadis les quarante rois qui ont fait la France; il nous faut désormais conter les quarante années qui ont défait la France.» Mais de quelle France parle-t-il? Outre sa quête fanatique du n’importe quoi historique –ce qui le classe chaque jour un peu plus dans la ­catégorie des «histrions», ce que démontrent fréquemment de nombreux historiens–, outre qu’il raconte n’importe quoi sur l’immigration, outre qu’il exalte une fois encore la figure de Pétain au point de le réhabiliter entre les lignes, tout lui semble permis dans Destin français (Albin Michel), qui s’arrache actuellement dans les ­librairies. Ne nous trompons pas. Éric Zemmour n’est plus l’ultraréactionnaire que nous connaissions jadis. Il est dorénavant un collabo de l’extrême droite. Vous connaissez le refrain. La France se meurt, la France est morte… Voici le petit fascicule du petit homme au service d’une France fantasmée, destinée à provoquer la peur, toutes les peurs.

Dangerosité. Et il assume. Une phrase de son livre donne le ton: «Ignorant les leçons du passé et oubliant les vertus de son histoire, la France saborde son État au nom de la liberté, son homogénéité culturelle au nom des droits de l’homme et l’unité de son peuple au nom de l’universalisme.» La liberté: l’ennemie intime. Sans parler de ses diatribes contre l’égalité, les femmes, les musulmans (ils ont remplacé les juifs) et même les Lumières, qui inoculeraient l’illusion universaliste qui corrompt l’«identité française». Dans son dernier opus, vous ne lirez rien, en revanche, sur les piliers de notre République, ni la Révolution (il préfère Bonaparte), ni la laïcité (il revendique les racines chrétiennes en révérant Clovis), ni le Front populaire (ne lui en demandons pas trop), ni les conquêtes ouvrières et populaires (ne rêvons pas), ni les acquis du Conseil national de la Résistance (une trace trop gaullo-communiste à son goût). Si Zemmour veut ressusciter les réflexes maurrassiens et pétainistes en allant très loin dans la provocation, c’est qu’il a une idée derrière la tête. Pourquoi déclare-t-il, en septembre dernier, à propos de la reconnaissance par Emmanuel Macron du rôle de la France dans la mort du mathématicien communiste Maurice Audin, que ce dernier était «un traître et méritait 12 balles dans la peau», ce qui non seulement est une manière d’accréditer la torture, mais mériterait également une action en justice pour négation d’un crime de guerre? De même, pourquoi ose-t-il reprocher à la chroniqueuse Hapsatou Sy, dans une émission de télévision, la consonance de son prénom, qui serait une «insulte à la France»? Et pourquoi se vante-t-il fièrement d’avoir été condamné en mai dernier à 5000 euros d’amende pour «provocation à la haine religieuse» pour des propos tenus sur l’islam? Le colonialisme d’un côté et ce qui va avec; la xénophobie de l’autre. Les deux versants d’une même pièce... Au fond, Zemmour est un authentique salaud, au sens sartrien de l’expression. Mais attention. Ne sous-estimons pas la dangerosité du personnage, qui, fort de l’écho médiatique et des dizaines de milliers d’ouvrages qu’il écoule à chaque publication, pourrait très bien être tenté par un autre rôle que celui de polémiste: homme politique. Beaucoup pensent à lui pour trouver une «convergence» entre droite dure et droite extrême. Allié, ou bientôt concurrent, de Marion-Maréchal-la-Voilà?

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 19 octobre 2018.]

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