vendredi 21 juillet 2017

Moment de dépression, avant le chrono de Marseille

Dans la dix-huitième étape, entre Embrun et Salon-de-Provence (222,5 km), victoire en solitaire du Norvégien Boasson Hagen (Dimension Data). Samedi, contre-la-montre décisif à Marseille. Chris Froome a course gagnée. Romain Bardet terminera-t-il deuxième ou troisième?

La victoire de Boasson Hagen...
Route du Tour, envoyé spécial.
Ce vendredi 21 juillet, une sorte de dépression post-cimes a mordu le moral du chronicoeur, de la suiveuse et d’une partie de la caravane, tous engagés dans une grande descente vers le sud, entre Embrun et Salon-de-Provence, soit la plus longue étape de l’édition 2017: pas moins de 222,5 kilomètres, pour venir s’échouer aux portes de la Méditerranée, le nez au vent et les bras enduits d’embrocations de lavande. Autant l’avouer, tourner le dos aux montagnes – lieux privilégiés des vocabulaires oniriques et historiques du Tour – s’apparente à une sorte d’arrachement d’autant plus douloureux qu’il se reproduit chaque juillet recommencé. Le rituel est immuable. Il y a l’avant, puis l’après. Et tout passe si vite dans le feu de la course, de ses hauts, de ses bas, qu’une profonde désorientation s’empare de vous à la mesure de l’événement, de sorte que ce moment stratégique signe toujours la mort de quelque chose d’authentiquement supérieur, et surtout, la fin prochaine du Tour pour seul horizon. 

Avant d’évoquer l’ultime grand moment pour la victoire finale, samedi 22 juillet dans les rues Marseille, le peloton chemina, ce vendredi, vers la grande bleue nourricière sans trop se poser de questions. Les 169 rescapés absorbèrent des routes sinueuses et très vallonnées, traversant les paysages des Alpes-de-Haute-Provence, au pied de la montagne de Lure, pour rejoindre le très touristique Lubéron, avant le final dans la plaine de la Crau, souvent très ventée. Trois côtes de troisième catégorie, la dernière (col du Pointu) à 45 kilomètres de l'arrivée, compliquèrent la tâche des équipes de routiers-sprinteurs. Pour les baroudeurs, réduits à la portion congrue depuis le départ de Düsseldorf, ce fut d’ailleurs la dernière occasion. Ceci expliqua cela : un groupe de vingt coureurs prit les devants très tôt et compta jusqu’à dix minutes d’avance. Parmi cette belle troupe de cabochards, de nombreux français : Gallopin, Chavanel, Hardy, Molard, Calmejane, Périchon, Sicard, Gesbert, Simon. Et quelques costauds : Bakelants, Kiserlovski, De Gendt, Brambilla, Boasson Hagen, Arndt, Albasini, Bennati…

Ils se retrouvèrent neuf à se disputer la victoire dans les rues de Salon-de-Provence, ville-étape inédite, à deux pas de la célèbre base aérienne où séjourne la Patrouille de France. Un avion de chasse n’attendit pas l’explication groupée et décida de sortir, seul, à deux kilomètres du but. Le Norvégien Boasson Hagen (Dimension Data) s’extirpa à la faveur d’un rond-point, tout en puissance, se débarrassant d’abord de sept de ses rivaux, avant de se jouer de Nikias Arndt. Il remporta la troisième victoire de sa carrière dans le Tour. Le peloton, en mode flânerie, coupa la ligne avec un retard supérieur à douze minutes… la tête décidément ailleurs, comme chacun d’entre-nous. 
 
Samedi, le Tour renouera donc avec Marseille, quatre ans après sa dernière venue, pour la 20e et avant-dernière étape, un contre-la-montre de 22,5 kilomètres qui visite les sites de la cité phocéenne. Le départ et l'arrivée seront installés dans le stade Vélodrome. Le parcours longera le littoral, par la corniche, et contournera le Vieux-Port pour faire demi-tour au niveau du nouveau MuCEM (Musée des civilisations d'Europe et de la Méditerranée). Il grimpera ensuite, par la montée de la Bonne Mère, jusqu'à Notre-Dame de la Garde, pour redescendre vers la mer et revenir sur le boulevard Michelet. Hormis la côte de 1200 mètres (à 9,5% de pente) et la descente, la route restera plate et promet une moyenne élevée… synonyme de peu d’espoir pour Romain Bardet (ALM). 
 
Le Français, qui a laissé dans les Alpes ses désirs de renverser Chris Froome (Sky), peut-il viser autre-chose qu’un podium à Paris? Deuxième du général à 23 secondes de Froome, Bardet est talonné à six secondes par Rigoberto Uran (Cannondale), sachant que ce dernier a déjà brillé dans l’exercice solitaire. Mais aucun Top 10 pour le Colombien depuis plus de deux ans dans les contre-la-montre. Son principal fait d'armes date de 2014, quand il était parvenu à s'intercaler entre les multiples champions du monde Tony Martin et Fabian Cancellara au Tour d'Espagne, sur un chrono de 36,7 kilomètres au profil vallonné. Depuis ? Rien. Romain Bardet, le moins bon rouleur du trio de tête, peut donc nourrir l’ambition de redevenir le dauphin du Britannique sur les Champs-Elysées, comme l’an dernier. «J'aime bien les chronos en fin de Tour», racontait le Français vendredi matin. Après trois semaines, la fatigue nivelle toujours les valeurs. 
 
La victoire finale, elle, semble promise à Chris Froome. Les exemples ne manquent pas, qui confirment que Bardet devra avant tout «limiter la casse». Habituellement, le Français perd plus de 5 secondes au kilomètre sur les meilleurs spécialistes. En 2016, il s’était retrouvé à près de 3 minutes de Froome lors du premier chrono du Tour, long de 37 kilomètres. Histoire de s’inquiéter, signalons qu’en 2015, sur le chrono tout plat d'Utrecht, Uran lui avait pris 54 secondes en 14 kilomètres… 
 
Reste une question importante: Bardet peut-il craindre de descendre du podium? Mikel Landa (Sky), premier coureur hors-trio, se trouve à plus d'une minute. Le Français et l'Espagnol ont disputé trois chronos en commun. A chaque fois, Bardet a fini devant l'indomptable grimpeur de la Sky. Perspective positive, à priori. Quant au cinquième du général, Fabio Aru, qui pointe à 1'30'', nous ne prendrons aucun risque en prédisant que le danger ne viendra pas de l’Italien. Conclusion: Romain Bardet terminera sur le podium. Deuxième. Ou troisième. 
 
Voilà pourquoi, face à ce faux suspens, nous avons déjà l’impression de sortir progressivement du Tour de France, vous savez, cet Etat dans l’Etat qui confine tellement à l’état de grâce que le quitter provoque plus de tourments que de plaisirs. Alors, avant même le retour dans la Capitale, le chronicoeur se permet de citer le peintre Salvador Dali: «Quand finit le Tour de France, j'ai une espèce de dépression qui ne nécessite pas que j'aille dans une zone de repos, mais je sens qu'il manque quelque chose: une grande partie de l'enchantement paradisiaque de mon été vient de se terminer.»

Allez, encore deux jours… 

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