mercredi 12 juillet 2017

A Bergerac, à la fin de l’envoi, Kittel touche encore !

Dans la dixième étape, entre Périgueux et Bergerac (178 km), victoire au sprint de l’Allemand Marcel Kittel (QST). La veille, jour de repos, Chris Froome s’était expliqué sur son «incident» avec Fabio Aru. Quant à Romain Bardet, il semblait aller au mieux.

Kittel seul au monde.
Bergerac (Dordogne), envoyé spécial.
Puisque le Tour demeure une étrange fabrique à distordre le temps, les lendemains de jour de repos recèlent leur part de mystères qu’il convient de creuser comme s’il s’agissait de grottes antédiluviennes. Cette dixième étape, entre Périgueux et Bergerac, sans difficulté notoire et entièrement tracé en Dordogne, s’y prêtait à merveille. Le chronicoeur, plus sélénite que jamais après une première semaine de heurts cyclistes en tout genre, n’était donc pas mécontent d’en revenir aux interprétations fondamentales de la course, à la manière des archéologues, frontale de rigueur bien vissée sur le crâne. Les organisateurs avaient tout prévu. Quarante-deux kilomètres après le départ, le peloton effleurait Lascaux, monument suprême de l'art préhistorique dont la version moderne, accessible au public, fut récemment inaugurée.

Une échappée s’était déjà formée, en présence de deux Français, Yoann Offredo (Wanty) et Elie Gesbert (Fortuneo). Mais puisque les manies du vélo modernisé deviennent force de lois et l’emportent désormais sur les grandes contestations, nos deux  héros du jour ne virent jamais l’arrivée avec la gloire au bout de l’effort. Il manqua sept kilomètres. C’était écrit. Donc contresigné par les équipes de sprinteurs, du moins ceux qui concouraient encore. Dans les rue de Bergerac, l’affaire fut réglée façon Cyrano: au début et à la fin de l’envoi, l’Allemand Marcel Kittel (QST) toucha encore. Sa quatrième victoire d’étape…

Allez! c’est quand même bon d’être vivant à la passion et d’échapper à la cécité des habitudes en posant un regard qui nous permet de nous y reconnaître. En l’espèce, puisque les jours précédents ont laissé des meurtrissures parmi nos forçats, nous traquons, par intérêt, les moindres indices qui nous donneraient des indications sur d’éventuelles failles chez l’ultra favori, Chris Froome (Sky). La veille, lors du farniente dans le Périgord, le Britannique avait tenté de ne rien montrer, malgré «l’incident» avec Fabio Aru dans le mont du Chat. L’Italien l’avait-il attaqué en profitant de son incident mécanique? Et Froome en personne avait-il poussé son concurrent d’un coup d’épaule en réintégrant le groupe des favoris? «Il y a un peu une règle non écrite suivant laquelle, lorsque le leader de la course a cette sorte de problème, le groupe ne profite pas de la situation, expliqua Froome. Concernant mon geste, j’ai commis une véritable erreur.» Nous attendions quelques mots de contrition. Erreur: «J'ai perdu un peu l'équilibre et j'ai dévié sur la droite, Aru est arrivé et il a dû se dérober aussi. C'était une véritable erreur et je pense que Fabio Aru a été le premier à le reconnaître.»
 
Pas de prise de bec. Juste une prise de tête. «Je me suis excusé tout de suite. C'est fou d'imaginer que ce soit volontaire. J'en suis incapable… et je n'allais pas risquer de mettre mon dérailleur dans la roue avant d'Aru.» Chacun jugera de la sincérité de ces propos. Pour notre druide Cyrille Guimard, croisé hier après-midi, «le geste de l’Anglais était volontaire et aurait pu mériter sanction… mais c’est Froome!». Quoi qu’il en soit, le porteur du maillot jaune se montrait plus préoccupé par la terrible chute de son pote et ex-adversaire Richie Porte (BMC): «Quand vous voyez un ami se blesser pareillement, cela vous rappelle ce qui est vraiment important.» Quant à l’abandon de son lieutenant Geraint Thomas (1), il avouait: «C’est un coup massif. Geraint occupait la deuxième place au classement, mais il était aussi un coureur clé pour moi dans la montagne.» Celle-ci reviendra dès jeudi, dans les Pyrénées. Vous avez dit sérénité?
 
Romain Bardet (ALM), lui, ne semblait pas atteint de fusion des sentiments. D’autant que, cette année, le Français ne pédale pas pour des cacahuètes. «Ca s'annonce plutôt bien, analysait-il. Je constate que j'ai réussi à répondre à toutes les attaques de Froome en montagne. (…) Entre nous, ça va être maintenant une guerre autant psychologique que tactique. Je vais continuer à être sur un mode très offensif!» Il nous restait d’abord à vous donner des nouvelles de la FdJ de Thibaut Pinot, littéralement décapitée depuis l’arrivée hors-délais d’Arnaud Démare et de trois de ses coéquipiers (Delage, Guarnieri et Konovalovas) qui l’accompagnaient dans son chemin de croix, dimanche, vers Chambéry. Tous éliminés. Chacun comprendra aisément l’ampleur de la tâche pour rallier Paris à cinq. Le patron de l’équipe, Marc Madiot, plus dépité qu’il n’y paraît, voulait croire que «quelque chose de spécial» allait naître de cette mésaventure, de l’ordre de «la solidarité de groupe»
 
Enfin, sachez que le chronicoeur eut une pensée émue lorsque les coureurs traversèrent Port-de-Couze (km 154), où se produisit le plus terrible accident de l'histoire plus que centenaire de l'épreuve, le 11 juillet 1964: un camion-citerne de la gendarmerie avait provoqué la mort de neuf personnes, dont trois enfants. Reprenons-nous. La route du Tour n’est pas toujours synonyme de drames, même si la course, elle, hésite souvent entre la tristesse du hasard et la logique… parfaitement organisée.
 
(1)Thomas a posté sur Twitter: «Maillot à vendre. N'a servi qu'une fois. Pas nickel à 100%, légers signes d'usure. Pourrait avoir besoin d'un lavage.» Le tout assorti d’une photo de son maillot déchiré.
 
[ARTICLE publié dans l'Humanité du 12 juillet 2017.]

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Bravo pour vos articles sur le tour de France. C'est un régal de vous lire. Merci.

Anonyme a dit…

Bonjour,

Merci pour vos superbes articles à propos du Tour de France !
Ceci étant dit, je voudrais surtout ici vous remercier pour votre dernier livre « Rue de la République » que je viens de terminer (avec le regret que l’on a en quittant des amis)…
Vous y rendez un bel hommage à la ville de Saint-Denis et à ses habitants, dans toute leur diversité. Vos personnages m’ont émue avec leurs questionnements, leurs désarrois, leurs engagements, leurs souffrances intimes et leurs espérances.
Tous. Et peut-être Paul Kerjean en particulier.
J’ai trouvé ce roman riche de multiples réflexions sur la cité, la « chose publique », le rôle des élus, mais aussi sur notre existence et le cortège de questions plus ou moins douloureuses qu’elle suscite souvent en nous. Sur les liens qui se tissent entre les êtres.
Tellement de débats suscités dans un seul livre que je peux m’empêcher d’espérer les voir se développer dans un prochain ouvrage ! Ai-je raison d’espérer ?
En attendant, j’ai bien envie un de ces jours d’aller faire un petit tour à St-Denis, de longer la rue de la République en repensant à Aminata, Valmy, Kerjean et les autres, d’aller jusqu’à la Basilique et de m’offrir une salade en terrasse du Meyts du Roy.

Bravo et merci !