Le corps du peuple sans l’âme du progrès social n’est qu’un squelette en voie de décomposition. Nous laisserons-nous embarquer sans réagir, alors que, à gauche, de nombreux mouvements rassemblés montrent qu’une dynamique peut être engagée?
Gauche. Nous vivons tous à l’affût de surprises qui sauraient rendre nos mémoires toujours plus fidèles, ce qui nous éviterait de nous fuir, de nous tromper, et accessoirement de perdre de vue l’essentiel par les temps qui courent: croire encore «en la» politique (comme on dirait croire en l’amour). Idée absurde, n’est-ce pas, tellement décalée, presque vieux jeu. Faut-il qu’il ait existé entre l’idée «de la» politique et nous-mêmes des complicités si profondes et si inconscientes pour que l’évoquer encore et encore soit toujours indispensable! Admettez que le sort de la gauche française – et son pôle d’attraction le plus social et révolutionnaire possible – nous importe et nous occupe presque quotidiennement, au moins par devoir et passion, sinon par fonction, comme si les déboussolés que nous sommes par l’évolution en cours nous permettaient la posture de l’observateur, un pied dedans, un pied dehors. Le philosophe et médiologue Régis Debray, présent au stand des Amis de l’Humanité lors de la dernière Fête, à La Courneuve, résumerait le dilemme d’une formule savoureuse: «La gauche, sans faire le détail de ses tribus et avec tous ses aggiornamentos, a dans son ADN un pacte avec la durée, parce qu’elle est “transmission”, transport d’une information rare le long du temps.» C’est au nom de ce «pacte» et de cette «durée» que nous nous autorisons à nous interroger sur la séquence électorale qui s’ouvre, avec la crainte de revivre un cauchemar pour cette gauche de transformation qui nous tient lieu de maison commune. Celle-ci possède pourtant une définition assez simple: le «peuple de gauche», comme concept et permanence, est une histoire longue, ou plus exactement l’unité de cette histoire. Les deux coexistent, plus ou moins bien selon les périodes, mais il n’est jamais bon que l’un chasse l’autre. Disons, pour schématiser, que nous traversons (temporairement?) une période creuse.
Le peuple sans projet de société radicalement de gauche devient une mystification. Et la société imaginée comme radicalement de gauche devient, elle, une sorte de capharnaüm. Le corps du peuple sans l’âme du progrès social n’est qu’un squelette en voie de décomposition. Nous laisserons-nous embarquer sans réagir, alors que, à gauche, de nombreux mouvements rassemblés montrent qu’une dynamique peut être engagée afin de promouvoir de nouvelles conquêtes, et ne plus se contenter uniquement de préserver ce qui peut l’être?
Banalités. Dans ce contexte, il paraît utile de se rappeler que ce qui nous unit du côté de la gauche de gauche (nommons-la ainsi pour l’instant) reste bien plus fondamental que ce qui nous divise, jusques et y compris avec certains socialistes, même si l’idée nous secoue, et à la condition absolue que ceux-là se trouvent vraiment dans une disposition de rupture avec le gouvernement actuel, avec la déchéance de la nationalité, avec l’état d’urgence, avec le démantèlement du droit du travail, avec la répression des délégués syndicaux, avec le refus d’entendre la colère sociale, autant d’actes qui ont aidé à brouiller la distinction entre droite et gauche, ce qui a fini de nourrir les pires dépits et ressentiments. À l’heure du bilan tragique, quels mots choisir pour donner du relief à Normal Ier et à son Premier Sinistre, eux qui n’en ont pas? De même, demandons-nous à quoi jouent en ce moment Martine Aubry et Christiane Taubira? Que préparent-elles vraiment? Ne donnent-elles pas l’impression, contre toute attente pour beaucoup, d’un futur soutien à la candidature du sortant? Souhaitons, sans trop y croire, être démentis. Cela nous évitera une fois encore de nous méfier de celles et ceux qui parlent et poitrinent fort. Les banalités exprimées à haute voix finissent toujours par étouffer la vérité tenue secrète au-dedans d’eux.
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 23 septembre 2016.]
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