jeudi 11 avril 2013

Moraliser, moraliser, oui, mais quoi?

La toile de fond économique et sociale est ce qui donne sens à la crise politique actuelle.

Tout bien réfléchi, le cas François Hollande semble devoir ratifier ce qui a l’apparence d’un paradoxe et l’insistance d’un choix délibéré, d’une obsession coupable. À aucun moment, hier, lors d’une allocution surprise, ses explications n’ont paru à la hauteur de l’ampleur de la crise politique et morale. Et pour cause. Non seulement le chef de l’État semble tétanisé devant la puissance tellurique de l’affaire Cahuzac, mais, plus grave, il est visiblement incapable de prendre la mesure du désaveu qui frappe le cœur même de sa politique économique et sociale. L’absence de cohérence de ses explications, qui se chevauchent pourtant sans encombre, tient précisément au fait que la forme, à la rhétorique parfois sympathique, ne s’attaque jamais au fond. Face caméra, il a ainsi expliqué qu’il rejetait toute idée de changement de cap. Une phrase, une seule, résume l’impasse insondable qui est la sienne: «La politique que je conduis est celle qui permet d’éviter l’austérité.» Consternant.

Bien sûr, on nous dira que François Hollande a sorti de sa boîte à outils des dispositifs pour la nécessaire «moralisation de la vie politique», par exemple la création d’une autorité indépendante. Très bien. Retrouvant quelques accents du Bourget, il a même déclaré qu’il voulait «éradiquer les paradis fiscaux» et qu’il exigerait des banques françaises qu’elles rendent publique «la liste de toutes leurs filiales». Belle intention. Échaudés, nous nous méfions des excès de vocabulaire qui anticipent l’ablation de la volonté. Appelons ça prosaïquement: ne pas tenir ses engagements. En l’espèce, aucune opération de diversion – la «réforme» fiscale en était une de taille! – ne suffira à éteindre l’incendie. Moraliser, certes, mais moraliser quoi? Nous connaissons l’adage: moraliser le capitalisme, c’est un peu comme humaniser la peine de mort. Tout dépend donc de l’idée que nous nous faisons de la matière à moraliser. Déclarer son patrimoine est une chose, s’attaquer de front au système économique et financier dont le profit est la seule valeur, en est une autre. Il faut choisir son camp, si l’on veut s’attaquer avec courage à l’évasion fiscale et tenter d’empêcher les plus riches de posséder des comptes offshore, véritable trou noir du capitalisme. Car lisez bien : environ 30.000 milliards de dollars seraient cachés dans ces oasis financières ; les trois quarts de la dette mondiale!

Sauf à ne rien vouloir comprendre, la toile de fond économique et sociale est ce qui donne sens à la crise politique actuelle. Car tout de même! Qui était Cahuzac, sinon l’un de ceux qui appelaient aux «sacrifices» au nom de «logiques» indépassables? Avec ses congénères sociaux-libéraux, dont Monsieur Hollande fut un acteur référencé, ce sont eux qui ont changé le logiciel du PS. Cette longue dérive philosophique d’une grande partie des dirigeants socialistes n’est pas sans rapport ni avec le séisme républicain du moment ni avec les choix économiques aberrants.

Or, qu’a dit le président hier? Qu’il continuerait sur le même chemin, comme si de rien n’était. Mieux, il a affirmé qu’«aucun ministre» ne remettrait en cause sa politique, renvoyant dans les cordes (temporairement?) les Montebourg et autres Hamon, qui ne taisent plus, eux aussi, le caractère récessif et mortifère des logiques austéritaires dont les conséquences sont de plus en plus visibles. À ce propos. L’austérité, est-elle morale? La flexibilisation du travail prévue dans la nouvelle loi, est-elle morale? Et la rage inouïe de l’atomisation sociale, est-elle morale? Retrouver le sens des priorités: l’autre définition du changement.

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 11 avril 2013.]

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