samedi 15 décembre 2012

Référence(s): que se passe-t-il sous le règne de Normal Ier?

Moins programmatique que pragmatique, le chef de l'Etat serait le produit d’un mélange indéterminé «des» gauches historiques et nous perdrions notre temps à vouloir lui donner une origine et une saveur. A voir...

Normal Ier. Reprenons la lancinante chronique du règne de Normal Ier là où nous l’avions laissée. À ce propos. Convient-il encore de chercher les mots qui ne fâcheraient pas? Est-ce toujours pertinent? En un temps où le vocabulaire s’affadit et où l’on n’évoque plus que la surface des choses pour ne heurter aucune oreille, où l’ont ne dit plus «orage» mais «épisode pluvieux», ni «il va peut-être mourir» mais «son processus vital est engagé», même les mots du nouvel Héritier ont longtemps perdu crudité et saveurs canailles. Il a fallu attendre que son action devienne enfin lisible pour que, lui, retrouve un peu d’embonpoint et de friponnerie verbale, et nous, de quoi analyser le sens de ses actes sans être totalement risible. Soyons donc prudent – mais ferme.

Lecture. La phrase qui suit comprend un risque: sept mois à l’Élysée auront donc suffi pour nous décevoir, nous décontenancer ou nous conforter, selon ce que nous pensions avant le 6 mai dernier. Ce président, qui incarnerait plusieurs personnages «des» gauches historiques, reste aux yeux de certains une véritable énigme idéologique. Historiens, philosophes, sociologues et même anthropologues sont régulièrement conviés au chevet de sa politique pour en décrypter la lecture pratique et/ou symbolique. Beaucoup s’y cassent les dents – hors les habituelles références au delorisme (en priorité), au jospinisme (sa frilosité sociétale), au rocardisme (sa politique contractuelle), au mitterrandisme (cela va de soi), au mendésisme (sortez vos manuels) et même, n’en jetez plus, au jaurésisme (sic). Comme si la célèbre stratégie de synthèse du personnage, transformée depuis peu en méthode dite «du râteau», s’appliquait également à ceux qui commentent son action.
Plus on tente de ratisser large avec lui, plus on aurait de chances de récupérer un bout de la vérité. Dans le genre «je vise à peu près juste», nous accorderons un bon point à l’historien socialiste Alain Bergounioux pour cette formule si tordue qu’elle en devient géniale: «Pour l’instant, Hollande projette ce qu’il a été dans ce qu’il fait.» Traduisons. Moins programmatique que pragmatique, Normal Ier serait donc le produit d’un mélange indéterminé et nous perdrions notre temps à vouloir lui donner une origine et une saveur. Un membre du cabinet d’Ayrault entrevoit la difficulté en ces termes: «Nous travaillons à la construction d’une nouvelle gauche, le hollandisme est forcément en devenir.» Et lorsque nous lui demandons s’il n’a pas l’impression de participer à une certaine «trahison de
la gauche», l’homme répond, paisiblement: «Le président n’a pas encore voulu dévoiler totalement sa vérité politique.»

Saint-Simon. Le philosophe Pierre Musso, lui, qualifie le hollandisme de «saint-simonisme», référence au penseur du XIXe siècle, Henri de Saint-Simon (1760-1825), dont il est l’un des spécialistes. «La grande thèse du philosophe, postérieure à la Révolution française, explique Musso, était que le changement social devrait être pacifique, maîtrisé et même “insensible” pour éviter les deux écueils qui menacent dans toute situation de crise: l’anarchie et le despotisme.» Saint-Simon l’écrivait noir sur blanc: «Aucun changement ne peut s’effectuer que par degrés, au temporel comme au spirituel.» Soit, admettons les contraintes d’un prima: l’avenir est aussi réel que le présent est illusoire. Mais si l’illusion en politique consiste à agir sur ce qui se voit, le changement des hommes par exemple, et si l’intelligence suprême commande de s’extraire absolument de cette illusion pour «voir loin» et changer de point de vue sur la conjoncture présente en l’insérant dans l’histoire, franchement, quels sont les actes fondamentaux du gouvernement actuel – du côté de l’économique et du social, les vraies matrices – qui pourraient nous laisser penser qu’ils réorientent l’à-venir et tentent de changer la vie, quand tout nous pousse à croire au contraire que s’accumulent renoncements et reniements?

Démarche. Nous aurions même pu nous étouffer, à la lecture d’une tribune de Pierre Moscovici donnée fin novembre à Libération et intitulée «Notre révolution copernicienne». Le ministre de l’Économie y justifiait le virage austéritaire par la cohérence que le gouvernement donne «à l’ambition progressiste». Vous avez bien lu. Et il poursuivait: «Être de gauche, c’est agir sur le réel au nom des valeurs de solidarité et de justice, mais aussi viser l’efficacité économique, sans laquelle, faute de moyens, celles-ci restent lettre morte.» Enfin il définissait ainsi la démarche du gouvernement: «Parce qu’elle est réformiste, sociale-démocrate, par essence et par conviction, elle est aussi révolutionnaire.» Nous aussi, nous avions soudain du mal à décrypter ce socialisme-là… (À suivre.)

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 14 décembre 2012.]

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Géniale chronique! Si on pouvait lire ça toutes les semaines, ça serait vraiment bien.
CAMILLE

Anonyme a dit…

Délicieuse cruauté... encore !

Floréale SAVARRE a dit…


La méthode Sarko c'était bras d'honneur,CRS et enfumage, au service de ses véritables mandataires,les 1%.La méthode aujourd’hui c'est somnifères,CRS et enfumage pour une politique qui ,dans les ACTES,ressemble furieusement à la précédente...au service de qui?