jeudi 13 décembre 2012

Le gouvernement et Florange: la tache

Selon un document de Bercy, la nationalisation de Florange n’était pas ruineuse pour l’État...

«La clarté est la forme la plus difficile du courage.» Étrange pied de nez: faut-il donc que l’heure soit grave pour que nous osions citer cette formule de François Mitterrand, qu’il s’adressait sans doute à lui-même pour défricher son propre mystère. Appliquant ce concept au dossier Florange, nous pourrions dire que plus le temps passe, moins la clarté se fait – quant au courage… Quoi qu’il dise désormais, Jean-Marc Ayrault a accumulé trop de non-dits vis-à-vis des Français et trop de concessions au profit d’ArcelorMittal pour ne pas 
se voir affubler, par les salariés, du soupçon de trahison.

Pour ne rien arranger, à chaque jour son coup de théâtre. Dans le lot des révélations à charge contre Matignon, ce que le Canard enchaîné nous apprend ne va pas atténuer les tensions politiques et encore moins les rancœurs des ouvriers d’ArcelorMittal. Jusque-là, les études commandées par le gouvernement sur l’éventuelle prise de contrôle par l’État étaient restées secrètes. Elles ne le sont plus. Et, ô surprise, elles viennent contredire tout ou partie de l’argumentation pour justifier l’accord scellé avec le magnat de Calcutta. Les conclusions du document publié sont sans ambiguïté. Si l’on en croit le prétravail réalisé à Bercy, la nationalisation n’était ni ruineuse pour l’État ni juridiquement risquée. Ayrault parlait d’un investissement d’un milliard? Mensonge.
Dans tous les scénarios élaborés par les services du Fonds stratégique d’investissement (FSI), les estimations ne dépassaient jamais le demi-milliard. Ayrault évoquait des repreneurs peu fiables ? Encore un mensonge. Les engagements de trois investisseurs, Serin, Duferco et Severstal, étaient non seulement sérieux mais les entreprises en question envisageaient de gagner de l’argent avec Florange! À Bercy, un business plan – pardon pour la fâcheuse expression – prévoyant un désinvestissement progressif de l’État avait été programmé et les têtes pleines du ministère des Finances, qui ne passent pas pour des commissaires au Plan façon 1946 ou 1981, avaient même inscrit noir sur blanc une possible plus-value pour l’État!

Alors? Pourquoi le premier ministre a-t-il laissé de côté la vérité des faits pour s’embourber dans l’argumentation du «compromis honorable», qui ne convainc plus personne? Pour une raison simple, nous dit-on. À Matignon, donc à l’Élysée, l’exécutif a craint une «contagion». L’exemple de Florange nationalisé aurait donné des idées aux salariés en lutte dans tous les secteurs industriels en péril. C’eût été «insupportable». Sans blague. N’est-ce pas insupportable de laisser les salariés dans les griffes de Mittal, l’un des pirates de la spéculation globalisée? N’est-ce pas insupportable de sacrifier le site de asse-Indre? N’est-ce pas insupportable d’assister passivement au refroidissement des hauts-fourneaux, fin mars, synonyme de mort définitive? Ce choix idéologique est une tache. Indélébile.

Non, la nationalisation n’est ni un gros mot ni une simple «arme de dissuasion massive», pour reprendre le vocable à la mode. L’appropriation sociale des moyens de production est une solution qui, tôt ou tard, s’imposera pour relancer l’industrie en tant qu’un des facteurs de croissance et de redressement productif. L’idée même de nationalisation est en ce moment dans toutes les têtes: le rapport de forces a déjà changé. Le dossier Mittal n’est pas clos et la position du gouvernement s’avère intenable. S’attaquer aux puissants résonnait comme une promesse du candidat Hollande. Une autre forme de courage, celle d’assumer les confrontations. Qui parlait de courage?

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 13 décembre 2012.]

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