mercredi 12 septembre 2012

Les films sur Raymond Aubrac doivent être diffusés à la télévision

Raymond Aubrac.
Laissera-t-on l’amnésie collective sournoisement endormir l’esprit critique?

Le lundi 16 avril 2012, Raymond Aubrac recevait les honneurs militaires aux Invalides, quelques jours avant le premier tour de l’élection présidentielle. L’ensemble des responsables politiques du pays étaient présents et astreints au silence, comme pour mieux méditer le message de cet homme. La sortie, le 4 septembre dernier, du coffret réalisé par Pascal Convert et édité par l’INA regroupant les films Raymond Aubrac, les années de guerre et Raymond Aubrac, reconstruire (ce dernier pour l’instant inédit) préfigure la diffusion, que l’on espère prochaine mais hélas sans en être assurés pour l’instant, de ces deux documentaires sur France Télévisions.

Raymond Aubrac s’attristait toujours un peu de ce que ses visiteurs le questionnent, avant tout, sur son passé. Conscient que l’histoire ne se répète jamais deux fois de manière identique, il ne se posait pas en donneur de leçons et vivait au présent. En se préoccupant de l’avenir, tout particulièrement de celui de la jeunesse. Il ne cédait pas pour autant à l’amnésie collective qui sournoisement gagne et endort l’esprit critique. Après le formidable livre de Pascal Convert, Raymond Aubrac, résister, reconstruire, transmettre (Éditions du Seuil), les films Raymond Aubrac, les années de guerre et Raymond Aubrac, reconstruire permettent de mieux connaître le parcours de cet homme qui savait que la discrétion est la meilleure des armes pour celui qui souhaite, non la gloire personnelle, mais des résultats effectifs.

Durant la Résistance, aux côtés de Jean Moulin, il a été un des artisans majeurs de l’unification des mouvements de résistance, préservant ainsi la France d’une guerre civile. Le 14 mars dernier, à Marseille, le candidat François Hollande saluait son action à la Libération: «Je pense aussi à un grand résistant, Raymond Aubrac, qui fut nommé commissaire de la République à Marseille par le général de Gaulle, en août 1944, et à travers lui, je salue l’œuvre du Conseil national de la Résistance, à qui la République doit tant et au nom duquel tant de progrès sociaux ont été accomplis.» Raymond Aubrac savait mieux que quiconque que la convocation du passé glorieux sert malheureusement le plus souvent à masquer un présent où l’action hésite à trouver sa voie. «Le verbe résister doit toujours se conjuguer au présent.» Ce qui pourrait apparaître comme une formule était pour lui une règle. Sa résistance ne s’est pas arrêtée en 1945. Elle a pris une autre forme: la reconstruction.
Raymond Aubrac jeune.
Reconstruire la France, à Marseille, comme commissaire de la République, en Europe en y développant les échanges Est-Ouest en pleine guerre froide, dans le monde en se mettant au service des grands organismes de l’ONU. Et, plus encore, contribuer à décoloniser le monde. Dans quelques semaines, sa fille Élisabeth Helfer-Aubrac ira au Vietnam pour recevoir au nom de son père la plus haute distinction du pays, celle de compagnon d’Hô Chi Minh. Patiemment, durant toute sa vie, Raymond Aubrac a œuvré à établir des ponts entre son ami Hô Chi Minh et le président Mendès France pour mettre un terme à la guerre d’Indochine, puis, durant la guerre américaine, avec les présidents Johnson et Nixon. Ce messager secret ne s’exposait pas et ne s’attribuait aucun mérite personnel, pourtant son action a permis d’éviter des destructions massives de vies humaines et contribué à donner leur indépendance économique aux pays décolonisés, en particulier au Maroc. Face aux conflits économiques et militaires actuels, nos dirigeants seraient peut-être avisés d’écouter ou de réécouter la voix de cet ancien ingénieur des Ponts qui a su trouver des solutions inédites et efficientes.

Raymond et Lucie.
Le 15 avril 2012, lors de son discours de Vincennes, quelques jours après la mort de 
Raymond Aubrac, François Hollande évoquait une nouvelle fois son nom: «La grandeur de l’histoire, c’est Léon Blum qui, avec le Front populaire, a permis à tous les travailleurs de France de relever la tête et de partir enfin en congé. La grandeur de l’histoire, c’est la Résistance – ces femmes et ces hommes qui sauvèrent l’honneur de la patrie. Et je pense à Raymond Aubrac aujourd’hui qui vient de rejoindre sa femme Lucie. Honneur à ces hommes et à ces femmes qui n’étaient pas tous de gauche mais qui ont servi la France et la République ! La grandeur de l’histoire, c’est aussi Pierre Mendès France qui, en sept mois de gouvernement, fit davantage pour la France que tant d’autres en cinq ans.»

Dans ses entretiens avec Pascal Convert, Raymond Aubrac se souvenait qu’Hô Chi Minh lui avait demandé de transmettre à Mendès France sa profonde déception. Le leader français n’avait pas tenu parole : pas de référendum sur la réunification du sud et du nord du Vietnam. Un autre jour, il parlait de sa relation avec Henry Kissinger. Lui non plus n’avait pas tenu parole et avait étendu le conflit au sud du Vietnam. S’il était une chose à laquelle Raymond Aubrac était attaché, c’était à ce que ses actes soient en accord avec sa parole. Non pas au nom d’une morale supérieure. Mais parce que c’était le seul chemin pour construire des ponts durables et fraternels entre les pays, et leurs habitants. En cette période de rentrée, où il est urgent de passer aux actes sur la base de références solides et indiscutables, l’édition par l’INA des deux volets de ce travail documentaire sur Raymond Aubrac permet d’approcher dans ses détails une méthode qui n’est pas qu’un discours. Il serait invraisemblable – et pour tout dire scandaleux – de se passer d’une diffusion télévisuelle, large et à une heure de grande écoute. Dans le cas contraire, les dirigeants de France Télévisions commettraient une erreur impardonnable.

[TRIBUNE LIBRE publié dans l'Humanité du 10 septembre 2012.]

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