lundi 17 septembre 2012

La gauche (socialiste) au pouvoir est-elle vouée à décevoir?

Nous sommes instruits du passé et nous ne pouvons plus ignorer ce qui ressemble à un éternel recommencement, à savoir une petite espérance suivie d’une déception...

Crainte. Portés par un élan qui nous entraîne plus loin que nous-mêmes, toujours nous étreignent l’angoisse du gouffre, la peur du nulle part… Ces temps-ci, une légitime question nous hante tous, et, plus ou moins maladroitement, nous tentons de la formuler sans trop laisser la place à une radicalité définitive. Le «tous» s’adresse à ceux qui préservent en eux la même brûlure de la conscience, le même appétit pour l’idéal de progrès en marche, en somme la même soif de gauche! Voici donc notre version toute personnelle de cette interrogation lancinante: puisque nous sommes instruits du passé et que nous ne pouvons plus ignorer ce qui ressemble à un éternel recommencement, à savoir une petite espérance suivie d’une déception, pourquoi la gauche (socialiste) au pouvoir est-elle vouée à décevoir ceux qui l’ont installée au pouvoir? En d’autres termes, cette crainte est-elle plus légitime que jamais?

Désarroi. Ne fuyons pas les termes du débat. Car les premiers mois de la présidence de François II ressemblent à la bande-son d’un monde de moins en moins caché où dominent toujours, sans vraie rupture, les heurts d’une société in-humaine, où le chômage de masse et la paupérisation galopante deviennent la marque immanente de cette situation.
L’autre jour, entre la poire et le fromage, un éminent conseiller d’un grand cabinet ministériel se lassait: «L’histoire bégaie», disait-il. En mai dernier, il nous affirmait: «La gauche ne peut pas décevoir encore une fois.» Et il précisait: «Nous aurons des marges de manœuvre, c’est une obligation. Quand elle arrive au pouvoir, la gauche doit agir vite.» Le même homme montrerait-il – déjà – un début de déception? «Dans le passé, poursuit-il, nos prédécesseurs ont toujours cherché à se battre contre la réalité et, au final, ils finissaient plus ou moins par rendre les armes. Mais, au moins, il y avait des tentatives, des bagarres et de vrais plans de relance. Là, que nous reste-t-il ? Je veux dire : que nous reste-t-il vraiment ? Sur le plan sociétal : le mariage des homosexuels. Sur le plan social : rien ou pas grand-chose, en tous les cas, trop peu de volonté de briser le mur du libéralisme en défiant les puissances de l’argent…» L’expression d’un désarroi que nous devons qualifier de sincère, croyez-nous.
Souvenirs. Faut-il prendre au pied de la lettre semblable confession et se dire que les socialistes version 2012 ne chercheront pas à faire bouger les lignes et qu’ils sont rentrés dans le rang sans même chercher le pas de côté? Feindre l’étonnement diffuserait, pour nous, un parfum de malhonnêteté, car nous savions à quoi nous attendre durant la campagne électorale de François II. À aucun moment, en effet, il n’a promis un «plan de bataille» contre l’austérité. Tout juste avait-il consenti – et c’était important! – qu’il renégocierait le traité européen. Résultat? En ce domaine, le président n’a pas honoré la promesse du candidat: comment peut-on affirmer qu’il y a eu «renégociation» lorsque nous devons nous contenter d’ajouter 
un paragraphe sur la croissance, sans jamais remettre en question l’arsenal antisouveraineté populaire qui le parcourt? Avouons, entre nous, que la scène s’est déjà déroulée à l’identique ou presque et que le scénario ne réserve aucune surprise. Dans les semaines qui viennent, le gouvernement va ainsi tenter de faire adopter par le Parlement le fameux «pacte budgétaire», clef de voûte de l’austérité à perpétuité. Souvenons-nous. Ce pacte, il n’y a pas si longtemps, était qualifié par les leaders socialistes du terme infamant de «traité Merkozy» et certains d’entre eux, devenus depuis ministres, avouaient même qu’ils préféreraient se damner plutôt que d’en accepter l’augure. Qu’en est-il aujourd’hui? Rien ne semble leur apparaître plus important et plus urgentissime que de le faire accepter à leur électorat 
et à l’ensemble des Français! Ayons de la mémoire. Cette histoire ne vous rappelle-t-elle pas Maastricht en 1992? Puis Amsterdam en 1997? Puis le traité constitutionnel en 2005?

Cause. Doit-on parler de dérive ou de crise d’identité du PS? Comment raisonnablement qualifier un parti de gauche qui, sur des débats majeurs pour notre avenir, semble faire cause commune avec le capitalisme libéral? Vous avez vu comme nous François II à la télévision, dimanche soir: pas un mot sur le traité budgétaire – et bien sûr pas une seule question de Claire Chazal sur ce sujet. Cet enjeu européen est pourtant celui qui détermine le plus l’orientation future de nos sociétés. Devant ce «courage fuyons», beaucoup parlent de «reniements», d’«accommodements» ou d’«habiletés» pour justifier le choix politique des moindres résistances. Soyons sérieux. Combien 
de temps cela peut-il durer? Réponse: tout dépendra du rapport de forces. Et de l’élan populaire qui nous entraîne tous…

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 14 septembre 2012.]

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Enfin les mots sont lâchés. J'attendais ce genre de texte dans l'Huma depuis l'été. Merci JED pour ton courage de dire les choses !
MARC

Anonyme a dit…

J'ai peine à croire que vous j-E Ducoin qui avez lu attentivement vos classiques du Marxisme et quelques autres bons livres (dont la République de Platon versus Badiou) puissiez avoir une seule seconde cru en la capacité des socialistes français à faire bouger les lignes.
Comment un homme aussi instruit et intelligent que vous a pu croire une seule seconde que les "gardiens" socialistes de la Caverne seraient capables ne serait-ce que de libérer les prisonniers entravés?