vendredi 21 septembre 2012

Eloge(s) de la Fête de l'Humanité...

La fierté de la Fête nous gonfle un peu. Question: comment la «poursuivre» et préserver jusque dans les moindres détails sa diversité, sa richesse?

Fête. Griffonnées dans le secret des arrière-stands, à l’ombre des estrades, les pages d’après-Fête nourrissent toujours le soupçon. Les lecteurs peuvent en effet s’imaginer quelque projet laudateur et, plus encore, le déchaînement ronflant de ruses et d’effets de plume pour dire et ne pas taire son propre enthousiasme devant ces instants réenchantés, si semblables chaque septembre recommencé, et pourtant si différents qu’ils forcent les portes de notre admiration. Ceux qui vinrent cette année, au moins le savent. Les jours de Fête de l’Humanité restent longtemps en nous, trace-sans-trace d’un immense bonheur qui nous dépasse. Et puisque la pudeur doit parfois s’effacer derrière l’évidence, admettons que l’irruption du génie collectif est une sorte d’ébranlement. Entre caresses reçues. Et coups de poing assénés. À moins que ce ne soit l’inverse.

Peuple. Rien de moins, donc, que de donner à la poésie sa vraie place, sans négliger le reste, ce qui émeut et énerve, ce qui tire les larmes et rend fou, l’éloge en humanité d’un instantané lumineux, éclairé par ceux qui le constituent avec, chevillé au corps, l’espoir insensé d’assouvir nos rages de poseurs d’idéal.
Sédition de mots à l’appui des alchimies les plus folles où gémissent les rêves dans l’attente d’endosser les costumes du réel. «Souvent je me suis perdu/à chercher la brûlure qui tient les choses éveillées.» Comment exprimer mieux que Garcia Lorca ce que nous ressentons devant le Peuple de la Fête? «Je crois ce soir à la terrible immortalité: personne n’est jamais mort, aucun homme, aucune femme, aucun mort.» Et pourquoi ne pas citer Borges, quand, l’heure venue, nous voulons crier notre passion de la Fête de l’Huma et de ceux qui la font vivre, encore et encore? Par eux s’inventent des merveilles, s’érigent des résistances, s’élèvent des ambitions, s’expriment des idées. Dans la fidélité totale ; et le renouvellement absolu. Les absents ont d’ailleurs toujours tort! Qu’on ne reproche pas au bloc-noteur son éventuelle capacité à faire illusion ou à flatter les sens. Seuls ceux qui n’y sont jamais venus n’entrevoient pas la grandeur de la Fête, son inventivité populaire, son défi répété qu’elle seule s’impose comme but, son ingéniosité créatrice à fendre l’âme, son impétuosité étincelante qui inonde de clarté une époque crépusculaire. Que les commentateurs ignorants se le disent : au parc de La Courneuve, l’horizon dessine des ourlets à la forme de nos songes et le vrai et le réel ne s’obscurcissent que dans la tête de ceux qui nous imaginent et jugent…
Stupéfaction. Une semaine après une Fête vécue à un rythme endiablé, notre sentiment dominateur tient en une question: comment «poursuivre» la Fête? Formulée autrement: comment préserver jusque dans les moindres détails sa diversité, sa richesse, bref sa démesure que les années d’expérience nous rendent plus évidente que jamais? En somme, comment poursuivre la Fête «hors la Fête», pour que sa tonicité ne s’évanouisse pas sitôt passée l’orgasme? «Maturité et jeunesse», selon les mots du président des Amis de l’Humanité, Ernest Pignon-Ernest. «La Fête? Un concentré vivant de ce que l’Humanité ne devrait jamais cesser d’être toute l’année», d’après Bernard Lubat. «Un public rebelle et intelligent, qui réagit à la hauteur de nos audaces», pour François Morel. «De quoi être saisi d’émotion et de stupéfaction», pour Philippe Caubère. «De quoi être rassuré par l’intelligence du peuple», si l’on en croit Richard Bohringer. Quant à Gérard Mordillat, pas de doute: «Ici, avec le public, mille fleurs s’épanouissent, mille questions se posent: c’est unique en son genre, c’est la Fête!»

Fierté. Comment oublier le ravissement des mots? Comment ne pas tenter d’en être à la hauteur, sans négliger l’urgence du calendrier politique? Durant trois jours, la mobilisation contre le traité d’austérité européen et en faveur d’un référendum a pris une accélération que personne, à gauche, ne peut plus ignorer. «Le changement, oui, c’est maintenant!» a-t-on lu ou entendu un partout. Vivantes, les valeurs de l’espérance car les effluves combatives creusent les plaies, allègent le fardeau, exorcisent les maux d’une société en voix d’atomisation sociale, tandis que les participants donnaient du tonus au Front de gauche, sous les frondaisons des idées, dans la convivialité et le débat, sur des coins de table aux saveurs et aux couleurs de la France et du monde entier, entre citoyens progressistes, entre militants, entre communistes, associatifs, syndicalistes, artistes, ensemble pour refuser ce monde déchiré par les appétits de profit, par les conflits meurtriers, par les fanatismes imbéciles qui enflamment les êtres… Oui, cette fierté de la Fête nous gonfle un peu. Pas vous?

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 20 septembre 2012.]

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci pour ces mots. Merci pour cette Fête.

Anonyme a dit…

Unique, la Fête de l'Huma. Merci JED pour ton talent et pour savoir parler de ça avec de tels mots.
GILBERTE

Anonyme a dit…

J'étais à la courneuve et je n'aurai pas su le dire aussi bien. C'était une belle Fête, que nous voudrions, oui, poursuivre d'une manière ou d'une autre. Mais comment faire, car le journal, l'huma, n'a pas cet esprit là toute l'année, hélas.