dimanche 24 juin 2012

Illusion(s): bilan et perspectives après élections...

Près d'un électeur sur deux s’est abstenu aux législatives. Les moins de quarante-cinq ans, majoritairement, ne se sont pas exprimés. Et il en est de même avec les catégories sociales les plus défavorisées... Pour François II, l’adhésion reste à conquérir…

Majorité. À force de répéter sur tous les tons que «la gauche, cette fois, ne peut pas décevoir», qu’elle n’en a «pas le droit», faute de quoi le pire serait à envisager dans un avenir plus ou moins proche, certains omettent de dimensionner le périmètre du mot «gauche» ainsi utilisé dans une globalité erronée. En l’espèce, nous devons entendre: les socialistes et leurs alliés gouvernementaux. Ceux pour lesquels les élections législatives furent un moment de grâce. Ou presque. Mettons de côté les destins personnels, concentrons-nous sur ce que nous nous permettrons de considérer comme un sacre en trompe-l’œil. Il n’est nullement question, ici, de minimiser l’ampleur de la victoire des socialistes: en nombre, sinon en pourcentage, jamais la gauche n’avait obtenu semblable hégémonie à l’Assemblée. D’autant que ladite gauche domine dorénavant le paysage politique comme jamais cela ne s’était produit depuis l’avènement de la Ve République: le Palais-Bourbon, le Sénat, l’essentielle des régions, la majorité des départements et la plupart des grandes villes. Que reste-t-il à la droite parlementaire? Soyons précis: 3 régions sur 26, dont 2 en outre-mer ; 40 départements sur 101 ; 12 villes de plus de 100.000 habitants sur 41. Du jamais-vu, inutile de le préciser.

Vertige. Bien sûr, cette hyperdomination ne tombe pas du ciel. Après cinq années de nicoléonisme et de dérives en tout genre, l’envie de changement était la plus forte et les Français ne se sont pas contentés, aux législatives, de confirmer le résultat de la présidentielle.
Seulement voilà, l’anomalie démocratique que constitue le mode de scrutin actuel a transformé le «vote de cohérence» en un véritable plébiscite atrophiant la représentativité. Comme une distorsion pouvant laisser des traces d’amertume. Car, depuis dimanche soir, François II et son gouvernement ont les pleins pouvoirs – et cette plénitude théorique et pratique, qui leur permet de disposer de tous les leviers de l’État central et décentralisé, les oblige, en effet, à une sorte de devoir de réussite, qui, rapporté à l’ampleur des attentes, ne peut que donner le vertige. Raison de plus pour ne pas perdre «le fil d’Ariane – la lutte pour la justice – reposant sur l’union du populaire et du régalien, l’une des meilleures définitions possible sur le long terme» de la gauche, selon Régis Debray (Rêverie de gauche, Flammarion).
Abstention. Prendre la juste mesure d’une victoire comme première condition pour ne pas perdre de vue l’horizon qu’on s’est fixé. François Hollande ne doit surtout pas sous-estimer la difficulté qu’il y a à braver l’opinion d’une démocratie d’opinion, qui, parfois, s’avère trop peu représentative dans les urnes mêmes… Ne tournons pas autour du pot: la force de frappe parlementaire, au profit de François II, est un gage sinon de succès, du moins de marges de manœuvre considérables. Mais comment négliger le fait qu’elle s’adosse sur une base politique réelle relativement étroite. Cela ne signifie pas qu’une épée de Damoclès tournoie déjà au-dessus de l’Élysée et qu’elle s’abattra à la moindre occasion, mais connaître la structuration d’un vote comme sa sociologie ne saurait nuire à la compréhension globale. Ainsi n’est-il pas inutile de rappeler que les records d’abstention enregistrés au premier et plus encore au second tour des législatives relativisent singulièrement l’ampleur du soutien populaire vis-à-vis de l’exécutif. Le 17 juin, alors qu’il s’agissait du second tour de l’élection la plus importante de nos institutions, près d’un électeur sur deux s’est abstenu. Plus grave et plus inquiétant encore : les moins de quarante-cinq ans, majoritairement, ne se sont pas exprimés. Et vous l’aurez deviné, il en est de même avec les catégories sociales les plus défavorisées (revenus inférieurs à 1 200 euros). L’adhésion reste à conquérir…

Mémoire. Les chiffres sont têtus, alors prenons garde aux illusions d’optique. Au premier tour des législatives, le Parti socialiste avait recueilli 29,2% des voix exprimées, soit 16,4% des électeurs inscrits. Quel est le résultat au soir du second tour? Le PS rassemble à lui seul la moitié des députés. Une anomalie électorale, oui ou non? Rappelons-nous par ailleurs du 22 avril dernier. François II avait obtenu 51,6% des voix, mais seulement 48,6% des votants, chiffre historiquement bas. Sans parler 
de l’accroissement du vote blanc et nul, qui avait atteint 4,6% des électeurs inscrits: 2.146.405 voix, soit un total inférieur à l’écart final entre François II et Nicoléon. Le nouvel élu et toutes ses majorités feraient bien de ne pas gommer cette singularité. Comme ils feraient bien de ne pas effacer de leur mémoire que, sans les quatre millions de voix du Front de gauche 
au second tour de la présidentielle, un certain Nicoléon trônerait toujours au Palais…

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 22 juin 2012.]

2 commentaires:

lili yang a dit…

bravo pour votre engagement!

Dwaabala a dit…

Bonsoir camarade,

Il serait bon d’éclaircir les raisons pour lesquelles les 4 millions de voix à la présidentielle ont pu se ratatiner en 1,8 millions de voix un mois plus tard aux législatives. La personnalisation, et la phagocytose de nos voix par le PS n’expliquent pas tout.

Peut-être un premier élément de réponse, non sans avoir préalablement félicité le camarade A. Chassaigne d’avoir si bien réussi dans sa circonscription, et de son accès à la présidence du groupe rescapé à l’Assemblée nationale.

Il y a deux façons de couler le Parti : celle des collaborationnistes à tout crin avec le PS, c’est-à-dire celle des liquidateurs avoués, et la méthode rampante, que l’on a continué à voir à l’œuvre dans le Front de Gauche, de ceux qui ont préféré casser l’élan de la présidentielle pour émietter la bataille en 577 campagnes locales, en la vidant de son enjeu politique national. Bien pis, en substituant à cet enjeu majeur la lutte contre le Front National. Cette ligne est apparue dans toute sa vérité à Hénin-Beaumont : le champion national a été poussé à devenir un simple candidat local... pour affronter le FN.

Il est trop grave d’avoir réussi, en prime, à faire méconnaître aux camarades sans expérience que derrière la façade du mouvement devenu « présentable », avec lequel on « débat d’idées », se tiennent à l’affût les nervis et les sicaires.