vendredi 4 novembre 2011

Cinoche(s) : pourquoi je n'ai pas aimé Tintin et Polisse...

Que retenir de ces deux films «événements», l'un blockbustérisé par Spielberg, l'autre adulé par la critique ?

Tintin. Tout ça pour ça. Après neuf années de travail acharné, de scénarios réécrits, démembrés, reconstruits puis retissés pour un formatage collant au plus près de la «demande» des consommateurs d’images en temps de mondialisation, Steven Spielberg nous a donc livré un Tintin blockbustérisé façon Coca, pop-corn et jeu vidéo, à la fois proche du personnage créé par Hergé (son androgyne déshumanité de blanc-bec bien de chez nous) et lointain de la figure fantasmée du journaliste belge (celle construite par les rêves de gosses). Évitons les quiproquos. Pour le bloc-noteur scribouillard, Tintin n’a jamais été et ne sera jamais un héros. De ses aventures au Congo à ses exploits dans quelques pays inventés, le «bon» Tintin d’Hergé, celui qui «vient en aide aux faibles» selon la rhétorique officielle, n’est qu’un trompe-l’œil. L’ethnocentrisme occidental de son créateur n’est plus à démontrer et nous tremblons encore à l’idée que des générations de francophones aient pu puiser quelques-unes de leurs «valeurs» à cette source-là. Sans être ni un militant ni un tribun, Hergé était, dès ses débuts, d’extrême droite, antisocialiste et anticommuniste, conservateur et moralisateur. Très jeune, il travailla pour la presse catholique belge qui soutenait ouvertement le fascisme italien de Mussolini. Il devint l’ami de l’abbé Wallez, antisémite notoire, qui dirigeait le Vingtième Siècle, journal catholique intégriste. Hergé fit ses débuts dans le Petit Vingtième, le supplément jeunesse du journal, où Tintin apparaît pour la première fois.
D’abord Tintin au pays des soviets (sans commentaire), puis Tintin au Congo, dont on a suffisamment souligné le contenu raciste et colonialiste… Hergé copina même avec Léon Degrelle, qui, dans les années 1930, fut à la tête du principal parti fasciste belge francophone… À la même époque, le papa de Tintin réalisa la couverture de deux livres de Raymond De Becker, qui, sous l’occupation allemande, dirigea le Soir nazi. L’un d’eux s’intitulait Pour un ordre nouveau, terme qui désignait le projet politique des fascistes... Qu’on ne se méprenne pas. Toute sa vie Hergé a suivi de près l’actualité et il a toujours su où il mettait les pieds. En 1973, il confia à un journaliste néerlandais qu’il avait cru à l’«ordre nouveau». Pour de nombreux historiens, l’album l’Étoile mystérieuse n’est-il pas considéré comme antisémite et proallemand?

3D. Mais revenons brièvement au film de Spielberg. La débauche technologique dite de la «performance capture», qui consiste à emprisonner des acteurs dans une redéfinition ordinateurisée, n’apporte rien. Nous voilà en effet livré à un monde désincarné, dépourvu d’émotion, une humanité niée pour un spectacle à plat, sans relief – sauf celui de la 3D, qui détruit les yeux et donne la nausée (au sens propre comme au figuré). «Derrière chacun des personnages, il y a des acteurs», se défend Spielberg. Pour ne pas lui être désagréable, nous pourrions sauver les scènes d’action, surabondantes, qui transportent le porteur pâle Tintin chez le génial Indiana Jones. Mais comment sauver ce qui n’existe pas: une histoire et des personnages?

Polisse. Puisqu’une mauvaise nouvelle n’arrive jamais seule, évoquons en passant l’un des derniers succès salués quasi unanimement par la «critique». Le fameux Polisse, de Maïwenn, nous laisse une impression de dévastation cinématographique et de froide colère. Le scénario? Un condensé de clichés pour série télé. L’histoire? La vie quotidienne de policiers de la brigade de protection des mineurs de Paris-Nord, tous caricaturaux jusqu’aux extrêmes, alcooliques, mal mariés, anorexiques, déprimés. L’alibi de ce scénario? Des gamins victimes de toutes les misères sociales, violés, battus, contraints au travail forcé, au mariage, tous renvoyés à l’arrière-plan de «l’existence» (c’est un grand mot) des flics eux-mêmes, comme s’il fallait agrémenter leur va-et-vient et leurs états d’âme, leur livrer une justification.
Leur désaffiliation effective et affective, narrée par une sorte de voyeurisme assumée caméra-à-l’épaule, donne à voir la vraie nature de ce film : un style et une forme, au service d’un genre qui se veut «réel» mais sombre dans un ultranaturalisme fictionnel. Car ce que nous ne voyons pas, et pour cause, c’est bien la violence vécue par les enfants, réduite à un accessoire de cinéma, à un chiffon rouge agité pour instrumentaliser les spectateurs et donner vie à quelques personnages si marginaux qu’ils en deviennent ridicules… Le cinéma, selon une formule consacrée (surtout sacrée), «substitue à notre regard un monde qui s’accorde à nos désirs». Avec ces deux films «événements», que devinrent nos regards et comment s’évaluèrent nos désirs? Kubrick, réveille-toi ! Ils sont devenus fous…

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 4 novembre 2011.]
(A plus tard...)

11 commentaires:

Anonyme a dit…

Lire votre passage sur Polisse est très troublant pour moi car ce sont des réflexions que je me suis faites après avoir vu ce film, mais la performance des acteurs m'avait tellement convaincu que j'ai renoncé à me poser ce genre de questions. Après réflexion je trouve au vous avez parfaitement raison de prendre vos distances avec la "forme" de ce film, qui reste trop dans la forme justement.
JEAN-MICHEL

Anonyme a dit…

Polisse est un exemple d'hyper-réalisme au cinéma. C'est sa grande force. Et en même temps une de ses immenses faiblesses. Sous la bannière d'un cinéma proche du documentaire les notions de découpages et de lumière deviennent parfois annexes, et les histoires, mon dieu, ne sont pas crédibles une seule seconde...

Anonyme a dit…

Franchement, je m'attendais à pire et à mieux!!!... A pire étant donné les avertissements ''scènes dures'. A mieux, car quand même y'a pas de quoi fouetter un chat, c'est souvent mal joué, confus au niveau de l'histoire (pas ou mal) racontée..! joey starr fait du bon joey starr. Bref, pas de quoi s'extasier autant que le font certains.

Anonyme a dit…

Je partage cet avis, sans être aussi sévère, quoi que... (j'ai déjà fait cette critique sur ALLO-CINE)
Je vais faire bref, ce film n'a pas un intérêt frappant. Si on enlève les scènes de disputes incessantes(mal jouées qui plus est), les dialogues salaces voir obscènes, les coups de colère de Joey Starr (qui montre bien que sa place n'est pas devant un objectif), et les scènes entre Mélissa (Maiwen) et Fred (Joey Starr). Il reste quelques scènes touchantes ou le contact entre police et victime est mis en évidence. Mais voila, on a beaucoup de cas, mais pas de suivi, on ne s'est pas ce que deviennent les victimes, ni les sanctions administré aux pédophiles. En conclusion, j'ai vu un Julie Lescault qui coûte 9€ la place.

Anonyme a dit…

On m'a dit : "Si tu n'aimes le film c'est parce que tu n'aimes pas la BD!" Rohhh la belle idiotie!! De quel droit oses-t-on me dire aneries pareilles??? J'adore le BD et les dessins animés et je considere ce film comme une catastrophe (je suis d'accord avec JED), Spielberg a massacré le mythe. Hergé doit se retourner dans sa tombe. Quant à la famille du dessinateur, la pilule doit mieux passer avec le chèque qu'ils ont du encaisser.
camille

Anonyme a dit…

Il faut peut-être arrêter de tout mélanger. Tintin est à remettre dans son époque. Ce n'est certes pas une oeuvre d'avant-garde révolutionnaire, mais je ne vois vraiment pas en quoi on pourrait la qualifier d'extrême-droite. J'ai tous les albums de Tintin et je suis communiste, comme quoi la pseudo-propagande nazie d'Hergé est soit une lubie d'un journaliste voulant exister, soit elle fut bien peu efficace...
Je dirais plutôt que son oeuvre a entraîné une certaine vocation bobo chez les journalistes des grands journaux parisiens, à se prendre pour des justiciers et à prêcher l'ingérence aux quatre coins du globe.

Anonyme a dit…

Polisse, est-il une métaphore du discours que la société se tient à elle même pour araser ses aspirités, taire ses conflits intérieurs et ceux qui déchirent chacun d'entre nous? Bref, pour se passer de la pommade et se donner une peau lisse?
Assurément le "Tintin" de Spielberg est-il une caricature de ce cinéma commercial fabriqué plus s'accorder aux désirs d'anéantissement ou d'abrutissement que pour susciter le questionnement des vivants, enseigner leur regard.
Jules Roy avait dans sa critique précédente loué Polisse. Qu'il avait comparé au cinéma de F Wiseman.
Je ne dirai rien de Maïwenn. La critique de JE Ducoin m'en dissuade définitivement.
Mais de F Wiseman deux mots.
Wiseman est un philosophe (au sens que lui donne P Hadot) qui utilise la caméra (son instrumentum - instruo: instruire) comme d'autres utilisent le pinceau ou le corps du danseur. D'autre part, il recourt à la forme du documentaire (doceo: j'instruis).
Le cinéma de Wiseman (qui porte bien son nom) est un cinéma qui incite le spectateur à questionner (quaestio: partir à la recherche de) son propre regard, dans un jeu de miroirs que permet l'exploration cinématographique des institutions: école, prison, mode etc...
Un cinéma intelligent comme on n'en fait plus, plus qu'un cinéma d'émotion ou d'exploitation de l'épithumia, les passions et pulsions des masses anesthésiées.

Anonyme a dit…

Malgré l’indéniable accumulation de clichés dans laquelle se vautre le dernier film de Maïwenn, il parait juste tout de même de relever la performance de Joey Star. Notons l’incroyable sex-appeal de l’ex-bad-boy moulé dans son gilet par balle. Et s’il fallait ne trouver qu’un seul argument pour aller voir Polisse, ce serait celui-ci : Joey Star est un régal pour les yeux (plus que pour les oreilles). En regrettant profondément néanmoins, l’absence cruelle de la moindre scène de nu.

Anonyme a dit…

J'ai vu Polisse et je ne suis pas loin de penser comme JE Ducoin. Car passé l'émotion des images brutes, que reste-t-il, que reste-t-il vraiment quand on réfléchit deux minutes à ce qu"on a vu ? En effet beaucoup de caricatures qui, qu'on le veuille ou non, nous éloigne de la vie-réelle...
Quant à Tintin, je ne ferai aucun commentaire : je n'irai pas voir ce film qui vante la création d'un Blanc-de-Blanc occidental, avec tout ce que l'on sait d'Hergé...

Anonyme a dit…

Georges Remi, dit "Hergé", le père de Tintin, fut le compagnon de route de plusieurs dirigeants de l’extrême droite belge.
Issu des rangs de la droite catholique, tendance maurrassienne, Hergé fut l’ami de Léon Degrelle, dirigeant du fascisme en Belgique et nazi convaincu. Après 1940, sa carrière professionnelle se poursuivra au sein du journal Le Soir, volé par la propagande nazie et dirigé par un quarteron de collabos.
Il provient de la droite catholique marquée par les années 30 et la situation politique de cette décennie. Le dessinateur rencontre au collège bruxellois Saint-Boniface ceux qui incarneront l’extrême droite religieuse et culturelle: l’abbé Wallez, le véritable père spirituel d’Hergé, Paul Jamin, qui, sous le pseudonyme de "Jam", dessinera les caricatures antipolitiques et antisémites dans "Le Pays réel", organe du parti Rex, ainsi que Léon Degrelle lui-même, le "Chef" de cette formation.
Hergé a illustré la brochure de ce dernier, "Histoire de la guerre scolaire", en 1932. Juste avant la guerre, Hergé a prété son concours à un journal financé par l'ambassade d'Allemagne à Bruxelles: "L'Ouest" . Il y publiera une série "neutraliste" intitulée les "Aventures de Mr Bellum" et y caricaturera violemment la position de la France en décembre 1939.
Quand les nazis s’installent en Belgique, le jeune dessinateur en profite largement.
(à suivre)

Anonyme a dit…

(suite)
Le journal " Le Soir ", dit "Le Soir volé" était alors dirigé par Raymond De Becker qui, issu des rangs démocrates-chrétiens, devint un adepte du national-socialisme. Contrôlé et toléré par les nazis, ce quotidien avait une diffusion maximale. A un moment donné, il ira jusqu’à tirer à 300.000 exemplaires. Tintin contribua au succès du quotidien. Les années 40-44 furent les meilleures pour Hergé. Il n’a jamais autant dessiné. Les aventures de Tintin paraissent d'abord dans un supplément, Le Soir Jeunesse. Parmi le lectorat du " Soir ", il fidélise un public de plus en plus tintinophile avec des dessins, en règle générale, apolitiques qui n’évoquèrent que rarement la guerre ou l’occupation. Sauf dans " L’Etoile mystérieuse ", où une orientation clairement anti-américaine et antisémite se manifeste sans complexe. Dans la première édition de L'Étoile Mystérieuse, l'expédition internationale à laquelle participe Tintin ne compte que des pays neutres ou membres de l'Axe, et leur déloyal concurrent est sous pavillon américain et financé par un certain Blumenstein, nom à connotation juive. Ce nom sera remplacé par Bohlwinkel et le pavillon américain par celui d'un pays imaginaire dans des versions ultérieures. Une planche qui caricaturait des marchands juifs se réjouissant des affaires qu'ils allaient faire grâce à la fin du monde avait été supprimé dans l'album.
L'œuvre d'Hergé contient aussi d'autres dessins douteux dans ce registre ; ils ont pratiquement tous été corrigés par la suite, à l'exception notable du nez de Blumenstein, que Hergé projetait de redessiner - sans jamais pourtant prendre le temps de le faire. Les rafles visant à déporter les Juifs de Belgique vers le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau s’organisèrent durant cette même période ( voir notre article précédent Dossier Belgique:l'Etat belge a aidé à déporter les juifs)
A la Libération, le "cas Hergé" fut rapidement oublié par les magistrats qui avaient alors de plus lourds dossiers à boucler.
La parution des 7 Boules de Cristal sera interrompue le 3 septembre 1944. En quelques jours, Hergé est arrêté à quatre reprises, par la Sûreté de l'État, la police judiciaire, le Mouvement National Belge et le Front de l'indépendance. Son domicile est perquisitionné. Tous les journalistes ayant participé à la rédaction d'un journal pendant l'Occupation se voient interdire provisoirement toute publication.
Pendant cette période troublée, Hergé a écrit des récits d'évasion, évitant de faire référence à la situation politique internationale.