Troquons nos bonnes résolutions pour quelques bonnes révolutions.
Conflit. Donc, nous y voilà, déjà plongés à pleines brassées dans cette année décisive. À l’image du climat ces temps-ci, le ciel reste couvert au-dessus de nos âmes, mais nous filons comme un tonnerre à travers les grisâtres draperies des journées, des mois qui s’avancent. Entre deux accès de fièvre dus aux soubresauts de l’actualité qui ne flanchent jamais, insensibles que nous sommes aux coups de pointe que nous distillent les penseurs dominants dont les esprits sont bourrés d’un mortier de doctrines qui ne sert qu’à cimenter les arcs-boutants de l’ordre libéral établi, nous préférons, en conscience, troquer nos bonnes résolutions pour quelques bonnes révolutions. Cela paraît insensé, n’est-ce pas, tant pullulent les mercenaires de l’oligarchie, drapés dans leur moralité conservatrice, au même titre que l’étaient jadis les hommes de la garde suisse, sous l’ancienne monarchie française, fidèles à ceux qui leur donnent du pain et du sel, et la solde annuelle, soutenant, sinon par conviction du moins par intérêt, les avantages de leurs employeurs. Depuis Hugo, Marx, Jaurès et même Jack London (relisez absolument le ''Talon de fer'', 1907, que vient de rééditer le Temps des cerises), nous savons irréconciliable le conflit entre le travail et le capital. Plus que jamais, d’ailleurs, tant le capitalisme a retrouvé sa sauvagerie –désormais globalisée– et poursuit son unique chemin, sa rudimentaire disposition spoliatrice: avoir tout ce qu’il peut prendre et contrôler les esprits.
Ne lire ni amertume ni manichéisme dans ces mots. Juste de la lucidité, mâtinée de colère brute, que rehaussent encore les injustices d’une France sens dessus dessous qui oublie autant son histoire singulière que le socle sur lequel elle a adossé sa raison d’être au lendemain de la Seconde Guerre mondiale: la République de progrès.
2017. Bonne révolution numéro un: soulevons-nous, comme lorsqu’on dit une tempête se lève, se soulève, renversons la pesanteur qui nous clouait au sol pour que, enfin, les lois de l’atmosphère tout entière soient contredites. Révolution numéro deux: utilisons les gestes (intenses), car soulever est un geste et que, avant même d’entreprendre et de mener à bien une action, volontaire et partagée, nous nous soulevons d’un simple geste qui vient tout à coup renverser l’accablement où jusque-là nous tenait la soumission (lâcheté? cynisme? désespoir?). Révolution numéro trois: utilisons tous les mots à notre disposition pour que nos bras se lèvent, que nos bouches s’exclament, avec des phrases pour le dire, le chanter, le penser, le discuter, l’imprimer, le transmettre, pour nous situer «en avant» de l’action elle-même, ainsi que l’écrivait Rimbaud au temps de la Commune. Révolution numéro quatre: brûlons nos vaisseaux, embrasons tous les conflits qui le méritent, sociaux et autres, non par pur chaos, mais bien pour voir surgir les formes mêmes d’un désir d’être libres et d’inventer de nouvelles façons de vivre ensemble, pour dire «oui» aux grèves, «oui» aux manifestations, pour que quelque chose de décisif apparaisse, pour nous émanciper des bras fantômes et des maîtres qui subventionnent la pensée à coups de capital. Révolution numéro cinq: que les faibles gémissements des enfants souffreteux dans les bouges aient plus d’importance que toutes les pompes et les appareils de l’expansion commerciale et de l’empire des actionnaires mondialisés qui babillent sur leur petit idéal et leur chère petite morale, mais, en dépit de leur verbiage, ne comprennent pas que la tonique de leur vie n’est qu’une note bassement matérialiste et infâme. Révolution numéro six : qu’un grondement profond roule dans nos gorges et dans toutes celles qui peuvent faire vibrer l’air, demain, après-demain – d’ici avril 2017, en somme.
[BLOC-NOTES publié dans l’Humanité du 6 janvier 2017.]
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