Dans notre pays –censément l’un des phares de l’humanité–, l’Insee recense 9 millions de pauvres, soit 14,1% de la population, dont un tiers d’enfants.
Quoi, les pauvres? Comment ça, la France des «oubliés» et des «invisibles» dont parlent les géographes, celle que beaucoup ont cessé de voir et même de vouloir juste regarder, à l’heure des grands froids ou pour tempérer un excès de culpabilité devant les scènes de rue quotidiennes, sans parler de ceux qui se terrent, en silence, drapés dans leur ultime dignité? Pauvres, travailleurs pauvres, chômeurs, chômeurs de longue durée ou en fin de droits, SDF, familles à la dérive, dépourvues du strict minimum pour passer les semaines, souvent les jours, sans perspective autre que d’arraisonner le continent du désespoir… La précarité est là, partout. Les statistiques donnent d’ailleurs le vertige, à condition d’en prendre l’ampleur, car il ne s’agit pas que de chiffres désincarnés pour économistes de plateaux télé. Dans notre pays –censément l’un des phares de l’humanité–, l’Insee recense 9 millions de pauvres, soit 14,1% de la population, dont un tiers d’enfants. Les quinze dernières années constituent un tournant. La pauvreté avait fortement baissé des années 1970 jusqu’au milieu des années 1990. Depuis, nous assistons à une inversion de tendance historique: en dix ans, 1,2 million de personnes sont venues grossir les rangs des laissés-pour-compte. Les plus pauvres sont de plus en plus pauvres, les plus riches de plus en plus riches. Combien de temps faudra-t-il encore pour que ce scandale parvienne à dessiller les yeux les plus rétifs à la réalité?
Nous nous amuserons –ou pas– que le propriétaire d’un vaste manoir dans la Sarthe, alias François Fillon, qui avait posé pour Paris Match devant la façade, ose instrumentaliser la misère lors d’une visite grotesque d’un centre Emmaüs, sachant qu’il propose de détrousser le modèle social. L’ampleur de l’accroissement de la pauvreté ne se prête pas à des coups de com. Pour tout progressiste qui sommeille, réveiller les consciences n’est qu’une étape. Seule une gauche qui assume à la fois le combat de classes, par la répartition des richesses, et le conflit entre le travail et le capital peut prendre les décisions d’urgence que réclame cette situation indigne. L’heure des choix, c’est presque demain.
[EDITORIAL publié dans l’Humanité du 5 janvier 2017.]
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