vendredi 3 juin 2016

Haine(s): le conflit social par les coulisses

«Je ne pensais pas que le gouvernement irait si loin», dit un conseiller d’État socialiste…

Classe. On pardonnera volontiers au bloc-noteur une tendance –sinon maladive du moins appréciative– à écouter parler ceux qui, en coulisses, donnent souvent la tonalité d’un climat ambiant par temps de crise. Quelques coups de téléphone suffisent parfois. Face à la montée de l’exaspération sociale contre la loi travail (et bien au-delà, reconnaissons-le), une espèce de haine se déchaîne à l’encontre des salariés, syndicalistes ou non, qui se dressent dans la lutte, quels qu’en soient la forme et les modes d’action, dont nous aurons remarqué qu’ils n’ont pas encore emprunté le chemin d’une grève générale – cela ne se décrète pas – mais bien d’une généralisation des grèves. Une haine donc, si tenace et si puissante qu’il ne sert plus à rien d’en psychologiser les raisons, tant elles puisent loin dans les racines antisociales à la française. De même, il devient inutile de chercher à comprendre pourquoi et comment la malveillance envers la CGT atteint un tel paroxysme, au point que nous avons tout entendu, tout lu à l’encontre du premier syndicat du pays. Sans parler de Philippe Martinez lui-même, accusé de tous les maux, «stalinien» n’étant pas le moins insultant, d’autant qu’il ne parcourt pas seulement les couloirs du Medef mais se diffuse également de palais ministériels en boudoirs de la haute fonction publique. Ainsi cet interlocuteur, conseiller technique rue de Grenelle, socialiste jospiniste pur sucre devenu, de son propre aveu, «libéral» au fil des années, qui, après avoir lu un portrait au vitriol du numéro 1 cégétiste dans le Monde, déclare tout de go: «Je partage à 100% ce qui est écrit, je me suis bien marré en parcourant cet article! Ce Martinez est en effet une sorte de “général Tapioca”, celui de Tintin, il utilise sa centrale comme au temps de la guerre froide, non pas comme une arme de conquête mais comme un bouclier, pour protéger ce qui ne peut plus l’être.» À la question: «Et qu’est-ce qui ne peut plus être protégé?», notre interlocuteur répond sans ciller: «Le Code du travail, pardi! Car c’est désormais un frein pour les entreprises.» Vous avez bien lu…

Sachez-le, l’homme qui parle de la sorte fut l’un des artisans, auprès de Martine Aubry, de la rédaction de la première loi sur les 35 heures… Que s’est-il donc passé en moins de vingt ans pour que ce conseiller à la Cour des comptes, biberonné à la «gauche sociale», en vienne à assumer ce qu’il convient de nommer ici: une évidente haine de classe?

Ennemi. «J’assume l’expression: prise d’otages des Français», répète deux fois l’un des membres du cabinet de Matignon, qui confirme par ailleurs en off une information divulguée par Marianne, à savoir que son chef, alias le premier sinistre, a bien dealé avec Pierre Gattaz une «réforme d’ampleur du Code du travail» lors du forum de Davos, les deux hommes s’étant longuement rencontrés pour définir le périmètre de «réformes audacieuses et courageuses», selon cet informateur. «Un mois plus tard, au Medef, ils n’en ont pas cru leurs yeux! ajoute-t-il. Quand ils ont découvert la première mouture du projet de loi El Khomri, ils ont été carrément bluffés, jamais ils n’auraient cru qu’on soit prêt à ça…» Un conseiller d’État, ex-proche de Ségolène Royal et de Jean-Marc Ayrault, rompu au dialogue social, l’admet: «Quand j’ai lu ce texte, j’ai aussitôt décroché mon téléphone pour prévenir l’Élysée et Matignon qu’ils avaient perdu le sens des réalités, que ça ne passerait jamais comme une lettre à la poste, qu’ils ne pouvaient provoquer à ce point certains syndicats et les transformer en ennemis à combattre ouvertement! Je leur ai dit que la CGT et FO ne laisseraient jamais faire sans bouger, qu’elles ne le pouvaient pas après quatre ans de coups reçus et que c’était le meilleur moyen de mettre la CFDT dans la difficulté. Ils n’ont rien écouté. Je vais être honnête: je ne pensais pas que le gouvernement irait si loin…» 
 
[BLOC-NOTES publié dans l’Humanité du 3 juin 2016.]

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