mardi 2 février 2016

Justice: colère en hermine

C'est historique: jamais les hauts magistrats ne s’étaient exprimés d’une seule voix. Pour dire leur colère et alerter sur la dangerosité des projets législatifs en cours, autrement dit les textes phares du gouvernement dans la lutte «contre le terrorisme» adoptés ou en préparation.

L’acte est réfléchi, assumé, et restera comme un coup de semonce historique dans les annales de la République, du moins celle qui tient pour sacré la «séparation des pouvoirs». Le premier président de la Cour de cassation, la plus haute juridiction française, et les premiers présidents des cours d’appel ont donc lancé un avertissement solennel à l’exécutif afin qu’il réforme le Conseil supérieur de la magistrature. Ce qui est en jeu dépasse de loin les polémiques subalternes et touche au socle même du cadre démocratique en terme de droits: il s’agit, ni plus ni moins, de garantir l’indépendance de l’autorité judiciaire. Jamais ces hauts magistrats ne s’étaient ainsi exprimés d’une seule voix. Entendons leur colère avec sérieux, car leur délibération commune, adoptée après la conférence des procureurs de la République, vise à alerter sur la dangerosité des projets législatifs en cours, autrement dit les textes phares du gouvernement dans la lutte «contre le terrorisme» adoptés ou en préparation, dans le sillage des attentats de 2015.

Les porteurs d’hermine dénoncent une «justice affaiblie», son rôle constitutionnel marginalisé, et, au passage, s’indignent des «manques de moyens». Bien sûr, dans cette délibération qui fera date et entachera le quinquennat de François Hollande, nous ne lisons aucune référence explicite à un texte précis. Mais l’accusation claque puissamment. Quand les hauts magistrats d’un pays comme la France, unanimes, réclament publiquement que «l’autorité judiciaire soit soustraite à toute forme d’influence», cela ne signifie-t-il pas que nous subissons, déjà, un amenuisement de nos libertés fondamentales?

En cause: les perquisitions menées administrativement ou les assignations à résidence, rendues possibles par l’état d’urgence que l’exécutif veut constitutionnaliser, sans parler de son corollaire, la réforme du Code de procédure pénale, présentée ce matin en Conseil des ministres, qui pourrait sournoisement, elle aussi, déposséder les juges de certaines de leurs prérogatives et laisser s’installer des mesures autoritaires de circonstance, sans aucun droit de regard de la justice judiciaire. Les hauts magistrats s’expriment de manière spectaculaire: l’heure est grave.

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 3 février 2016.]

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