mardi 17 septembre 2013

Coût(s): et si l'on parlait enfin du capital?

Une étude démontre que ce surcoût du capital, réparti dans les intérêts et les dividendes offerts aux actionnaires, en 2011, représentait en France, pour l’ensemble des sociétés non financières, 94,7 milliards d’euros. Soit un surcoût du capital de 50%!
 
Compétitivité. Pour ce qu’on nous en dit dans les coulisses, François Ier assumerait assez bien son statut de «président des patrons», comme le titrait en début de semaine un quotidien dit «de gauche» d’ordinaire peu versé dans la critique du social-libéralisme à la française. Ainsi, pouvait-on lire dans Libération: «D’aides en ristournes, le chef de l’État a mis peu à peu en œuvre une politique de l’offre, globalement injuste et éloignée de son programme à gauche.» Ou encore ceci: «La page d’un socialisme de la demande, visant à favoriser le pouvoir d’achat via une hausse de la dépense publique en période de ralentissement économique, est tournée.» Sans blague? Keynes serait «l’oublié de l’Élysée». Il était temps de s’en apercevoir, non? En leur Palais, lorsqu’ils vont encore à la rencontre de ceux qui s’intéressent à eux et à leurs motivations profondes (sic), les conseillers du monarque-élu chargés de penser l’économie n’ont d’ailleurs plus qu’un mot en bouche qu’ils ânonnent du matin au soir: «Compétitivité.» L’opération de lobbying fonctionne tellement bien qu’un autre grand quotidien national, lui aussi dit «de gauche », titrait l’autre jour: «Compétitivité: la France perd encore du terrain». Sans beaucoup de précaution, le Monde (vous aviez deviné) relayait à sa une un document produit durant le Forum de Davos, pour lequel, comme chacun le sait, la finance ne règne jamais assez et n’est jamais assez libre de ses actes. Dans ce classement fantaisiste la France apparaît en effet au 23e rang, derrière le Qatar ou l’Arabie saoudite. Vaste plaisanterie…  

Capital. Les éminences grises ont-ils lu l’étude publiée mi-août par le Bureau of Labour Statistics des États-Unis? Nous y découvrons que le «coût» horaire du travail était de 35,67 dollars par heure dans le secteur manufacturier en 2012 aux États-Unis, inférieur aux 45,79 dollars d’Allemagne et aux 39,81 dollars de France. Vous avez bien lu. 

Oui, dans l’industrie, ce que les libéraux de tout poil appellent «le coût du travail» est bel et bien plus bas en France qu’en Allemagne. Dans les services, ledit «coût du travail» est équivalent en France et en Allemagne. Dans un souci d’exhaustivité et de précision, notons par ailleurs que, dans l’industrie comme dans les services, l’Allemagne compte beaucoup plus de salariés à temps partiel. Ces données irréfutables, qui démontrent que le «coût» global horaire français est voisin de celui de l’Allemagne et très proche de celui des États-Unis, viennent donc contredire tous les discours lénifiants (gouvernants, experts, médias, etc.) qui n’ont qu’un but : justifier toutes sortes de «réformes» qui ne consistent qu’à réduire salaires et prestations sociales. Que répondre alors à ceux qui veulent engager la France dans une stratégie de «renforcement de sa compétitivité», quantitative et qualitative, avec «moins de prélèvements fiscaux et sociaux»? Qu’il existe un tabou – le seul vrai tabou en vérité – pénalisant tous ceux qui souhaitent investir et créer de l’emploi (pardon pour le langage entrepreneurial) : le coût prohibitif du capital, qui n’a cessé de progresser depuis une trentaine d’années… Et là, autant le dire, il s’agit bien d’un coût – et d’un vrai! 

Actionnaires. Un autre travail récent, réalisé par les économistes du Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques (Clersé), démontrait que ce surcoût du capital, réparti dans les intérêts et les dividendes offerts aux actionnaires, en 2011, représentait en France, pour l’ensemble des sociétés non financières, 94,7 milliards d’euros. Soit un surcoût du capital de 50%! L’économiste Laurent Cordonnier expliquait même que si «l’on rapportait ce surcoût à la seule partie de l’investissement qui correspond à l’amortissement du capital – laquelle représenterait mieux, aux yeux de nombreux économistes, le “vrai” coût du capital –, on obtiendrait une évaluation encore plus étonnante: 70»! Précisons que ce coût financier du capital ne correspond à aucun service économique rendu, que ce soit aux entreprises elles-mêmes ou à la société tout entière. Comprenons bien : cela signifie que lorsque les travailleurs sont capables de produire à un prix total de 100 euros par an, incluant la marge de profit, il en coûte en pratique entre 150 et 170 euros par an aux entreprises qui utilisent ce capital productif. Et pour quelle raison? Du seul fait qu’elles sont soumises au pouvoir actionnarial qui exige des retours sur fonds propres de l’ordre de 15%. Laurent Cordonnier posait donc cette question dérangeante : «Dans un monde où ne sont mises en œuvre que les actions, individuelles ou collectives, qui rapportent entre 15% et 30% par an, quelle est la surface du cimetière des idées qui n’ont jamais vu le jour parce qu’elles n’auraient rapporté qu’entre 0 et 15%?» Autant de sujets qui seront débattus à la Fête de l’Humanité. N’est-ce pas ? 

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 13 septembre 2013.]

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Cette pédagogie là, on devrait la trouver tous les jours dans l'Huma!