samedi 18 juin 2011

Opprobre(s) : Finkielkraut et Millet insultent la France, Onfray salit Sartre...

Finkielkraut-Millet. Même les coquins font tout pour être heureux… Sans doute n’avez-vous pas écouté, samedi dernier, l’émission d’Alain Finkielkraut, Répliques, sur France Culture. Voguant ce matin-là en covoiturage vers une destinée pré-funeste, inutile de vous dire que le bloc-noteur eut la nausée bien avant l’heure. Au micro de notre moraliste-maurrassien, deux écrivains. D’abord Jean-Claude Bailly, vite débordé, qui ne put jamais développer son idée de la France des couches de sédimentation de la conscience historique, exposée dans le Dépaysement (Seuil). Face à lui, l’ogre réactionnaire de la littérature, Richard Millet, était là non pour le contredire, mais pour asséner sans nuance sa propre vision de la France, décadente et cosmopolite. Vous devinez? Alain Finkielkraut buvait du petit-lait. Il faut dire que Millet, avec la publication de l’Opprobre (Gallimard), recueil-armé d’un écrivain en guerre – comme il le fut jadis lui-même dans les milices chrétiennes au Liban –, franchit une ligne blanche absolument odieuse. Au fil de ce texte, Millet reconnaît son obsession de la figure de l’ennemi, des ennemis, au point non pas d’essayer une réponse intellectuelle mais d’imposer une posture d’une rare brutalité, comme un sniper, au sens militaire du terme, pour exprimer la haine de «l’immigré» et de la France réelle. Qu’on en juge: «Quelle insanité ai-je proférée en constatant que ce pays n’est pas encore le Brésil ou Cuba mais une nation de race blanche avec des minorités étrangères ! Qu’une immigration chrétienne soit préférable à une immigration musulmane, voilà qui me paraît relever du bon sens, tout comme le fait que la France ne doive pas se renier elle-même pour maintenir la paix civile, menacée par ces minorités.» (p.85) Millet ne maintient plus seulement sa position. Il avance à découvert vers ce qu’il appelle «la destruction de la culture», renvoyant les envahisseurs «au ghetto» et déclarant vivre, lui, un «apartheid mental»… Vous avez bien lu.
Nous imaginons sans peine le plaisir raclé jusqu’à l’os du sieur Finkielkraut à la lecture de ces pages abjectes. Lorsque l’écrivain Millet dit: «Je suis en guerre», le philosophe l’aide à recharger son flingue et le couvre en invitant sur le service public l’auteur de ces mots: «Dans ce wagon de métro qui m’emmène vers la banlieue nord de Paris, et où je suis le seul Blanc et, sans doute, le seul Français, je songe à cette expression sociologique en vigueur il y a une trentaine d’années, le seuil de tolérance à l’immigration.» (p.63) Nous sommes loin des banlieues et autres quartiers populaires laissés en friche par la République, loin de l’atomisation sociale et de la paupérisation, loin de la France des multitudes… L’appel «aux forces armées dans les banlieues» fut évidemment montré en exemple comme preuve ultime de décrépitude finale. Sans parler du reste. Les prénoms aux «accents» arabes ; l’équipe de France de foot si peu «de souche» ; l’«expiatoire fantasme de l’hybridation générale» ; le délaissement de la langue «au profit de sa démocratisation utilitaire (…) pour ne pas désespérer les enfants d’immigrés» ; on en passe et des pires… Richard Millet, avant, c’était la Gloire des Pythre, Lauve le pur ou Ma vie parmi les ombres, des livres merveilleux que, jadis, nous avions encensés comme autant d’exaltations légitimes de ce bien précieux qu’est, effectivement, la langue française, sans savoir que ces textes admirables portaient déjà en eux un ultranationalisme des pires époques. Regrets éternels.

Onfray. Pendant ce temps-là (aucun rapport entre ce qui vient d’être écrit et ce qui suit, sauf peut-être une certaine colère face au temps qui est le nôtre), Michel Onfray poursuit sa percée médiacratique sans qu’on ne sache plus très bien où le conduiront ses objurgations successives. Après sa charge contre Freud, après l’éloge de Charlotte Corday, le philosophe hédoniste avec lequel nous n’avons pas pour habitude de polémiquer, s’est attaqué, il y a dix jours, dans les colonnes du Monde, à Jean-Paul Sartre. Un article et puis c’est tout. Un assassinat en quelques lignes. Michel Onfray exhume ainsi des phrases de l’inventeur de l’existentialisme, qui, arrachées à leur contexte, peuvent conduire sur de fausses pistes les lecteurs non informés de l’importance de Sartre dans son siècle. Le procédé laisse à désirer. Honnir Sartre sur la base de quelques engagements honorés à une époque où la philosophie prenait encore des risques avec le monde réel, de l’anticolonialisme aux portes des usines, voilà qui ne risque pas de choquer les bien-pensants de 2011 ! Dans son dernier livre, Manifeste hédoniste (éd. Autrement), Michel Onfray va plus loin en suggérant la possibilité d’un «capitalisme libertaire», d’une gestion «libertaire du capitalisme», assurant, pour ceux qui n’auraient pas bien compris, «ne pas être contre le capitalisme». Mais qu’arrive-t-il à l’inventeur génial de l’université populaire de Caen ?

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 17 juin 2011.]

(A plus tard...)

21 commentaires:

Anonyme a dit…

Voilà un coup de gueule qui fait plaisir à lire!!!

Anonyme a dit…

Et pour quelles raisons des voix dissonantes, voire opposées à celles que vous défendez, sieur Ducoin, ne se feraient-elles pas entendre sur les radios du service public? Il en est d'autres bien plus nombreuses qui y défendent le point de vue multiculturaliste et qui sont autant condamnables, moralement, politiquement!

Anonyme a dit…

Moi, je suis parfaitement d'accord avec JED, l'émission de Finkielkraut est toujours de la même tonalité, c'est de la contre-bande idéologique qui ne nourrit que le FN et les pires des cynismes. Nous devons le dénonçer sans relache !!!

Anonyme a dit…

@ Anonyme 13:41
1 - Personne n'a dit qu'elles ne devaient pas se faire entendre
2 - Personne n'a dit qu'elles étaient dissonantes (bien au contraire malheureusement!)ah si vous!
3 - Quels rapports avec cette chimère en France que constitue le "multiculturalisme"?
4 - Effectivement ces propos sont condamnables selon l'auteur, ils sont même odieux et insultants, aucun argument ne saurait vous le démontrer, je ne conçois pas que la simple lecture des citations puisse ne pas vous être suffisante, le temps puisse vous ouvrir les yeux...
5 - En quoi ces points de vue supposément "multiculturalistes" sont-ils plus nombreux?
6 - En quoi ces points de vue supposément "multiculturalistes" sont-ils condamnables?

Anonyme a dit…

La question n'est pas le "multiculturalisme", qui a toujours existé en France, mais bien le vivre-ensemble en République. Nuance.

Anonyme a dit…

Il est quand même incroyable et pour tout dire désolant de constater que même sur les forums de l'Huma il y a des personnes qui osent critiquer la République dans ses diversités. Ca devient vraiment n'importe quoi...

Anonyme a dit…

Je suis content de lire ce texte de DUCOIN. Moi aussi j'ai écouté cette émission, l'autre jour, et j'ai été choqué du début à la fin par le ton qu'on a pu y entendre. C'était terrible, ce côté anti-républicain, anti-jeunes, anti-banlieues, bref anti réalité.
MERCI JED !!!

Anonyme a dit…

On peut comprendre la saine colère du sieur DUCOIN à l'encontre du Temps qui est le sien, mais comment ferait-il pour l'exprimer et la sublimer par sa plume s'il n'existait pas des philosophes avec qui guerroyer, polémiquer et se distinguer?
Sur le fond. Ce n'est pas en insultant ou en dénigrant la voix dissonante de nos deux célèbres philosophes (pour lesquels, personnellement je n'ai guère de sympathie... encore que l'article d'Onfray dans un Huma Dimanche consacré à la lutte contre Sarkozi ne manquait pas de bon sens)que l'on traite sérieusement des questions posées. C'est plutôt là une technique éprouvée d'enterrer le conflit, ou, à tout le moins de ne pas reconnaître qu'il vous échappe.
Il y a manifestement en France et pas seulement un sérieux problème entre la République libérale et multiculturaliste et les catégories sociales qu'elle ne parvient plus à maîtriser. De même qu'il existe un très gros problème, intimement lié, du côté de la Gauche, pour adresser des messages sensés à ces mêmes catégories sociales. La raison en est évidente: la dépolitisation de l'économie, la fuite qui s'en suit de l'électorat ouvrier vers l'extrême droite etc. En un mot, il serait bien plus judicieux d'examiner de près les thèses contestables de Finkelkraut et d'Onfray que de pousser contre eux des cris , même adoucis, d'orfaie. Nous n'en sommes plus tout de même au temps où les philosophes qui n'étaient pas inscrits au PCF étaient considérés commes des chiens de garde du pouvoir.

Anonyme a dit…

Il serait intéressant de connaître l'opinion de Jean-Emmanuel DUCOIN sur les incidents qui ont émaillé le meeting de Ségolène Royal dans les quartiers populaires de Montpellier.

Jean-Emmanuel Ducoin a dit…

Bonjour,
Pour répondre au dernier commentaire "anonyme", il me semble que je n'ai absolument pas à "prouver" ce que je connais ou non de la vie dans les quartiers populaires. Comme je l'ai déjà écrit souvent dans ma chronique, il se trouve que j'habite Saint-Denis, au coeur d'un quartier que certains considèrent comme "difficile" et qui l'est, en effet... Je me sens donc sinon légitime du moins bien informé pour évoquer des sujets que beaucoup n'imaginent que de loin, même de très loin parfois... Je vous invite d'ailleurs à relire la fin de cette chronique : (http://larouetournehuma.blogspot.com/2011/04/prolophobes-petite-replique-une-neoreac.html)
Enfin, un dernier mot pour vous dire que je n'idéalise en rien la vie dans les quartiers populaires, plus frappés par l'atomisation sociale que par autre chose. Bonne journée à tous.
JED

Anonyme a dit…

Pendant ce temps-là, Mélenchon est candidat pour le PCF !!! C'est quand même mieux et plus fiable qu'Onfray, non ?
A bon entendeur.

Anonyme a dit…

Comme dirait l'autre, Onfray c'est un peu le Bernard-Henri Lévy de la gauche !

Anonyme a dit…

Hélas oui, on a vraiment l'impression qu'Onfray dérive de semaines en semaines de plus en plus vers le conformisme et le pouvoir. Ducoin a raison de lui porter le fer : que lui arrive-t-il ????

Anonyme a dit…

Tout comme vous j’ai écouté le « Finkel » sur F.C. consacré à Richard Millet et J. C. Bailly.
Ayant lu presque tout Millet depuis le début, je l’aimais et j’aime encore ses très grands romans, ses nouvelles, son « sentiment de la langue », ses « notes sur le désir » qu’est L’amour mendiant.
J’ai tout aimé jusqu’à ce que son exécrable « Opprobres », exécrable et mal fichu de surcroît, me détourne. J’ai, dès lors, cessé de m’intéresser à lui. Me reste et me restera la vingtaine de ses somptueux textes lus jusqu'alors, ce qui restera une manière de m’intéresser à lui, obstinément mais autrement.

Il faut sans retenue continuer d’aimer et de lire le très grand Richard Millet, nous n’avons qu’à y gagner, y compris et surtout la grande cohorte grandissante des perdus/éperdus à qui on a « coupé la langue »…

Tout comme nous continuerons de lire et d’aimer le « Voyage » et quelques autres textes du grand, de l’éblouissant Céline.

Je songe soudain ici à un article publié dans votre journal, l’humanité, en 1932 :
Sous le titre « CÉLINE N’EST PAS PARMI NOUS », Paul Nizan – qui découvrait le picaresque et éblouissant Voyage au bout de la nuit – exprimait son admiration, la reconnaissance d’une œuvre majeure. Mais, en visionnaire avisé, quant à la révolte qui s’exprime dans ce roman, il spéculait à juste titre, tout en laissant ouverte la suite des « événements », ce qu’il formule ainsi :
« « « CETTE RÉVOLTE PURE PEUT LE MENER (CELINE) N’IMPORTE OÙ : PARMI NOUS, CONTRE NOUS OU NULLE PART. » » »

Deux écritures à l’opposée l’une de l’autre (mais si justes, intelligentes et belles) et un génie, un rang littéraire communs, n’enjambant au fond qu’un demi siècle…
Deux écrivains majeurs que les multiples offres d’errance et autres pièges propres aux XXe et XXIe siècles (peut-être propres à l’histoire tout court) réunissent dans des fiasco révélateurs.

Contrairement à Nizan et peut-être à tort, J’ai du mal à trancher : Céline et Millet restent, malgré tout, des nôtres, que cela nous plaisent ou pas.
Avec Milllet et avec Céline je partage deux nostalgies : celle de la langue, celle du si âpre paysage humain, urbain et rural, de la France des fin XIX et XXe siècles.
C’est ma raison de ne pas les suivre dans leurs errements et leurs extrémismes respectifs tout en continuant de les tenir pour miens.

La dissolution des territoires, la confusion et l'accélération des "mutations" qu'entraîne une "vitesse libérale" qui n'a plus rien de commun avec les temps humains, me semblent propres à éclairer les deux œuvres.
M.C.

D@v!d B. a dit…

Merci. Mais est-ce une co(q)uille, le manque d'R dans le titre ? ;-))>
D@v!d B.

Anonyme a dit…

àdav!d B (opprobre)
Quand j'étais journaliste, ce genre de couille m'est arrivée maintes fois : il y a toujours, derrière vous, dans la longue chaîne de la division du travail et de la "surexploitation", des gens bien intentionnés. Ils sont certains que c'est vous, vous qui avez commis une faute de Vrançais... Alors ils se permettent de vous corriger !
C'est cela la démocratie mal comprise.

Anonyme a dit…

J'ai toujours préféré CAMUS à SARTRE. Le Camus du "Libertaire" au Sartre de "la Cause du Peuple" (maoïste). Bravo Onfray !

Anonyme a dit…

Je crois qu'il est important de ramener à sa juste proportion culturelle les critiques de ces deux articles, d'une part Richard Millet ne peut que défendre les idées pour lesquelles il exerce malheureusement ses talents décrivain, d'autre part Onfray est un imposteur philosophe depuis belle lurette ! Monsieur Coin aurait fait preuve de culture en négligeant ces deux écrivains, car ses articles ne démontrent rien. Il peut retrouver sur le blog de Pages Insulaires des commentaires sur ces deux individus !

Anonyme a dit…

La "juste proportion", c'est justement de ne rien laisser passer, désormais, et JED a bien raison de s'énerver encore. L'Huma doit regorger de ce genre de textex à la fois engagés, méchants et en colère. C'est l'honneur de la presse !!!

Anonyme a dit…

Pendant que ces pseudo intellectuels boboisés crachotent leurs haines, phobies et peurs (ce n'est pas autre chose, des aveux de faiblesse...)le peuple crève...ces atomisés feraient bien de réaliser qu'ils appartiennent à la communauté des Hommes et à la planète terre! il faut arrêter d'être "égotique" et redescendre...pour être utile en actes et non inutile en paroles... et surtout le mot "chrétien" n'a rien à faire dans ces débats ....on est plus au temps des croisades! être chrétien n'a rien à voir avec ces bonimenteurs! merci JED de continuer à défendre le "bon sens" et le réalisme aussi...PAT

Anonyme a dit…

Je me demande où habitent ceux qui ont contribué à cette discussion avant moi ! Moi, j'habite Argenteuil ! Plus de 28% de personnes d'origine étrangère. Le racisme anti-blanc, je le ressents tous les jours ! Mais il est politiquement incorrect d'en parler ... A vouloir se voiler la face, l'UMP comme le PS préparent, chacun à leur façon, un tapis rouge pour le FN ! Sur la base de mon vécu quotidien, je peux vous dire que l'intégration relève de l'utopie ! Certaines personnes d'origine étrangère ne la veulent pas, la refusent même : venez voir le marché d'Argenteuil des bords de Seine le dimanche matin et vous comprendrez ... Le communautarisme a été créé non pas par les français de souche mais par ceux que vous voulez soutenir ! Si vous voulez bien comprendre, si vous pouvez vous débarasser de vos idéaux humanistes et politiques. Oui, j'en ai marre des pieds sur les sièges des trains, de la musique Rapp qui vous empêche de lire, de ceux qui vous bousculent dans les portillons pour ne pas payer, de ceux qui crachent partout (cette éducation n'est pas la mienne), des fêtes d'association où il ne faut plus apporter jambon et alcool, etc ! Je ne voterai jamais FN (mon père a lutter contre les fascistes et effectué 5 années de prisonnier de guerre chez les Nazis) mais il faut tout de même se poser la question, ne pas se voiler la face : pourquoi de plus en plus de gens vote pour le FN à tel point que tous les partis se positionnent par rapport au FN ? Je suis fils d'ouvrier agricole, j'ai vécu dans des conditions bien plus modestes que ces voyous de banlieue, fénéants qui plus est et je n'ai jamais éprouvé le besoin de brûler des voitures ! L'éducation a baissé les bras, la société n'a plus d'autorité. On préfère l'assistance au titre d'une utopie dépassée qui me rappelle la croyance aveugle, quasi religieuse dans le communisme des années d'après guerre ! On connaît la suite ! Le réveil va être très brutal, surtout pour les utopistes ; ce n'est qu'une question de temsp ...