vendredi 1 avril 2011

La laïcité profanée ?

La laïcité ? «L’État chez lui, l’Église chez elle.» La loi de séparation ? «La marche délibérée de l’esprit vers la pleine lumière, la pleine science et l’entière raison.» Oser citer Victor Hugo puis Jean Jaurès – rien de moins – n’aurait aucun sens si la situation actuelle ne réclamait un peu plus que de la vigilance, disons une résistance combative… Les urnes des cantonales à peine vidées, avec le succès que l’on sait pour l’UMP, le président, plus inconscient que jamais, semble ne pas vouloir renoncer à son pseudo-débat sur la laïcité, toujours programmé le 5 avril. Rien pour l’instant ne l’a ramené à la raison, pas même les réserves, nombreuses, venues de son propre camp, occasionnant un psychodrame UMP-institutions quasi unique dans l’histoire de la Ve République.

Depuis le rappel à l’ordre du prince-président, tout le monde est rentré dans le rang, sans pour autant nous faire oublier que le parti présidentiel est désormais divisé en deux clans. Ceux qui pensent sans le dire qu’en se focalisant sur les thématiques identitaires l’UMP a volontairement désenclavé les thèses du Front national. Et ceux qui pensent et en le disant (parfois) que l’avenir de la droite, à l’image du continent, se joue «désormais à l’ultradroite», assumant sans complexe la comparaison avec le modèle italien de porosité des idées entre mussolinisme et berlusconisme. Et au milieu de ce fourre-tout idéologique? Des Français déboussolés qui, pour la plupart, tentent vaille que vaille de boucler leurs fins de mois, errant dans un paysage républicain et moral totalement dévasté…
Dans un texte que nous publions, les représentants de six grandes religions en France rappellent que «la laïcité est un des piliers de notre pacte républicain» et s’inquiètent d’éventuelles dérives. La loi de 1905 reste en effet une loi fondamentale d’apaisement, qui institue l’indépendance de l’État et établit la liberté de culte, l’absolue liberté de conscience, bref un idéal positif d’affirmation de l’égalité. Or à quoi peut bien servir ce débat sur la laïcité, sinon, de nouveau, à éloigner des vrais sujets, à troubler les esprits, à diviser, à abuser des rhétoriques de peur engendrées par les logiques de stigmatisation ? Ce débat ne visera qu’à cultiver des islamalgames odieux qui déshonorent la République.

Souvenons-nous. En manipulant un faux débat sur «l’identité nationale», en prônant la reconfessionnalisation de la société, présente dans son discours de Latran théorisant la «supériorité du prêtre sur l’instituteur dans la transmission des valeurs», Nicolas Sarkozy avait déjà déchiré une partie du pacte républicain. Dans une sorte de conception immuable de la nation, méfiante à l’endroit des différences, comme s’il n’y avait qu’une seule façon d’être français, il voulait dicter un «patrimoine génétique» de notre pays. En souhaitant re-discuter cette fois de la laïcité, il opère un syllogisme vichyste. Pourquoi avoir peur des mots? Par glissements successifs, vous verrez qu’un jour certains ne se référeront plus du tout à la République et exalteront, comme aux pires époques, le seul État-français... Spécialiste de la décontextualisation systématique de l’histoire, ce qui explique en partie son «ni-ni», Nicolas Sarkozy n’est rien d’autre qu’un néo-nationaliste qui ne se cache presque plus, serviteur d’une droite maurrassienne devenue ultralibérale. Comment s’étonner, après, que son conseiller occulte, Patrick Buisson, soit un ancien directeur de la rédaction de Minute ?

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 31 mars 2011.]

(A plus tard...)

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci pour ce bel édito, vraiment important. En le lisant, j'ai repensé à cette citation de l'historien Henri Pena-Ruiz, qui prend parfois la parole dans l'Humanité. Il a dit de la laïcité ceci : "La laïcité est une valeur essentielle, avec ce souci de la liberté de conscience et de l'égalité de tous les hommes, qu'ils soient croyants, athées ou agnostiques. L'idéal laïc n'est pas un idéal négatif de ressentiment contre la religion. C'est le plus grand contresens que l'on puisse faire sur la laïcité que d'y voir une sorte d'hostilité de principe à la religion. Mais c'est un idéal positif d'affirmation de la liberté de conscience, de l'égalité des croyants et des athées et de l'idée que la loi républicaine doit viser le bien commun et non pas l'intérêt particulier. C'est ce qu'on appelle le principe de neutralité de la sphère publique."
Je crois qu'il n'y a rien à ajouter. Juste merci à JED.

Anonyme a dit…

La laïcité est née de rêves épars, éparpillés. Elle est née de la commune de Paris, de la Révolution Française, des Lumières. Elle est née du peuple anonyme, des petits et des humbles. Je viens de relire le manifeste des 343 salopes, le premier. En toute lettres, avec force, étaient désignés les fascistes, les intégristes, l'ordre moral, Dieu et le Pape aux mains souillées du sang des femmes. Pour nous rappeler, peut-être, que dans la lente et longue marche des femmes vers l'égalité, notre premier ennemi est Dieu. On peut aujourd'hui faire semblant de l'oublier. On peut même se réjouir que 7 religions nous intiment l'ordre de ne plus débattre. Elles le disent : la laïcité est un des piliers de notre pacte républicain. Passez votre chemin, Dieu est laïc. Moi qui suis une femme, je ne me résoudrai pas à cette laïcité d'apparence. Le syllogisme vichyste m'apparaît comme le dernier argument de ceux qui ont, par lâcheté, accepté, en baissant les yeux, un peu de liberté perdue pour les femmes. Ce n'est rien, n'est ce pas le souffle du vent dans ses cheveux, le corps libéré, vêtu, paré pour la féminité, la séduction revendiquée, la sexualité qui affleure. Ce n'est rien que de priver des femmes de cette liberté. Ce n'est rien ou si peu. Dieu est laïc, s'il décide de voiler les femmes, qui pouvons-nous ? Surtout, ne pas stigmatiser. Se rassurer un peu en se disant que ces femmes le veulent bien. Oublier que les premières victimes de l'intégrisme religieux ce sont elles. Se rassurer pleinement en se disant qu'elles ne sont pas très nombreuses et zapper en évoquant des questions, ô combien, plus cruciales. Grande constante de l'histoire de France, il y a toujours plus important à faire que de s'occuper de la condition féminine. Et moi qui ai cru, un temps, que les communistes bouffeurs de curé, n'auraient pas peur de bouffer de l'immam. Je me trompais. Insidieusement, ils ont abandonné la laïcité dans les mains de Dieu. Empêtrés, les pieds dans le tapis du voile, ils ont justifié. Avec tristesse, je me surpends à penser qu'en 1905, ils n'auraient pas voté la loi sur la laïcité, au nom de la stigmatisation des catholiques.

Anonyme a dit…

La laïcité est une notion à la base chrétienne. Elle a été remise sur le tapis au XII° siècle par Gratien qui dans son Décret (pilier du juridisme européen) cite faussement Saint Jérôme: " Duo sunt genera christianorum". Il y a deux genres de chrétiens: les laïcs (laici est le mot latin pour le grec "laos" le peuple liturgique à ne pas confondre avec le peuple du démos) et les clercs (clerici du latin "sors" du grec "kléros" : tirage au sort).
Cette distinction entre les clercs et les laïcs se traduit par un certain nombre de signes et de marques. Par exemple, la marque du corps des clercs par le rasage de la tête. La marque des laïcs par l'épouse à eux permise.
Notons aussi l'architecture du montage. Le clerc se situe à mi distance entre Dieu et les laïcs.
Ce montage a l'ère ultra-moderne des affranchis des religions perdure. Les sociétés combien même elles se disent laïcs et sécularisées reproduisent dans l'Etat pontifical français la hiérarchie ecclésiale des laïcs et des clercs. Il y a ceux d'en -bas qui ont foi à la démocratie et font confiance (croient, créditent) à ceux d'en haut, les clerc ou les zélus; comme l'a bien vu l'abbé Sieyes (Qu'est-ce que le tiers état?)
Il ressort de tout ça que la véritable église aujourd'hui est l'Etat patriote et monarchique (et républicain), chargé de fabriquer les lois, les normes, les liens sociaux à une époque où les religions ne cherchent qu'à se faire pardonner d'exister encore. Amen!

Anonyme a dit…

La laicité n'a rien de Chretien, La calotte l'a fermement combattue et les forces politiques defendant la vision christianno-chretienne de la France sont allées jadis jusqu'au meurtre ou la collaboration avec les nazis ! C'est donc cela que l'on veut nous faire avaler ! ?
Les representants des Religions d'aujourd'hui ne s'y trompent pas eux ! Ils fustigent ce débat, bien conscient que seule la laicité leur permet de beneficier d'un espace d'expression libre ou ils ne seront dérangée ni ne derangeront !
meme Jésus etait pour avec son fameux : Rends a César ce qui est a César et a Dieu ce qui est a Dieu !
La laicité , c'est l'expression ultime du Vivre ensemble, et ceux qui sont contre ont trahi gravement cet idéal, ils ont trahi la toile meme de notre pacte republicain : On ne croit pas aux memes choses, mais nous devons vivre ensemble qu'on le veuille ou pas, ne serait ce que pour la paix de notre descendance !

Anonyme a dit…

Je dirais qu'il faudrait juste y ajouter une nouvelle notion : pas de tolérance pour l'intolérant ! car si nous nous tolérons meme les propos de l'intolérant, nous disant bien justement : ce type a la droit de penser ce qu'il veut, l'intolérant ne reve que d'imposer a autrui ses vues ! Il menace donc le pacte republicain et la cohésion de la société dans laquelle il évolue ! L'intolérant ne tolere que lui meme et rejete le vivre ensemble ! et l'intolérance peut tous nous toucher, et pas que dans le cercle purement religieux !
D'aucuns vont dire : et untel, il est intolerant alors on a raison de le stigmatiser !
Encore une fois non ! Ce n'est pas en opposant mais en conciliant les extremes que nous maintiendrons cette société debout !

Anonyme a dit…

C'est plus que la laïcité qui est profanée aujourd'hui, c'est la République qui est bafouée abreuvée de débats inutiles,dangereux et n'ayant d'autres buts que de semer la haine. Je suis à l'aise avec la laïcité et avec ma chrétienté car je suis à l'aise avec le mot liberté cher à notre devise républicaine. JED nous avait conseillé de lire "Chrétiens et communistes dans l'histoire, construire ensemble". Tout est dit en ce qui me concerne à travers ce livre et les actes qui s'en suivent (témoignage personnel en tant qu'élue de notre République). Le meilleur débat qui soit : préserver la liberté, l'égalité, la fraternité donc la dignité et arrêter de semer haine division comme le font aujourd'hui nos gouvernants indignes...PAT