mardi 8 février 2011

Pays arabes : briser la malédiction

Le cœur a sa géographie et son histoire – il a surtout ce bien commun sacré venu du fond des âges : la volonté d’émancipation des peuples… Alors que nous guettons tous ce point à l’horizon où les ombres s’estomperaient comme pour effacer les remords des âmes anciennes en révolutionnant aussi notre vision du monde, les Égyptiens, treize jours après le soulèvement populaire, s’interrogeaient toujours, hier, sur le sort d’Hosni Moubarak. Partira? Partira pas? Malgré la démission spectaculaire du bureau exécutif du parti au pouvoir en Égypte, le PND, le sort du raïs paraît plus que jamais scellé, à court ou moyen terme. Mais qu’on ne s’y trompe pas. Cette révolte contre la dictature et la pauvreté, qui touche désormais l’ensemble des couches sociales, ne se contentera pas du seul départ – ô combien symbolique – de Moubarak. Malgré la censure, les intimidations et la répression sanglante, c’est de la chute du régime dans son ensemble qu’il est question. Peut-on, doit-on, d’ores et déjà, affirmer que la magnifique révolution égyptienne, quinze jours après celle qui a renversé Ben Ali en Tunisie et qui l’a inspirée, sortira victorieuse à coup sûr? Comment en être certain?

Chacun le sait, la poussée démocratique et authentiquement populaire des pays arabes bouscule des enjeux géopolitiques et historiques considérables, qui pourraient s’avérer aussi importants que la chute du mur en 1989. Il suffit de voir l’intenable posture d’équilibriste des États-Unis pour comprendre que même la Maison-Blanche navigue à vue, ménageant avec angoisse un camp puis l’autre, tout en négociant en coulisse pour promouvoir une «transition» adossée à l’armée… Et si tout le Moyen-Orient vacillait? Et si le conflit israélo-palestinien changeait de base? Étrangement, les principaux dirigeants occidentaux, qui n’ont pourtant que le mot «démocratie» à la bouche, se montrent réticents, voire opposés à l’idée d’un processus démocratique allant au bout. Les États-Unis, l’Union européenne et Israël ne se sont-ils pas montrés complices des dictatures arabes au point de les conforter, durant des décennies?

À ce stade, une question inévitable se pose: faut-il avoir peur des Frères musulmans, peu nombreux au début de l’insurrection, invités officiellement à la table des négociations au Caire? Doit-on croire, comme certains spécialistes le disent, qu’à la direction des Frères, une nouvelle génération issue des classes cultivées puisse contenir les velléités des conservateurs, toujours en position de force à la tête de la confrérie? Une conviction nous embrasse. Et si les deux révolutions tunisienne et égyptienne nous annonçaient une grande nouvelle pour l’à-venir de la région? À savoir qu’il existe bel et bien une issue pour sortir de la posture tragique dans laquelle tous les peuples se sentaient éternellement piégés : soit supporter des dictatures, soit accepter l’avènement de partis intégristes… Cette malédiction, «dictature contre intégrisme», est-elle sur le point d’être brisée? Les intégrismes font leur lit quand la liberté reflue, pas quand elle est en pleine irruption!

Et pendant ce temps-là? Après avoir humilié les Tunisiens, les agences de notation maintiennent leur pression sur l’Égypte. Deux d’entre elles viennent de dégrader sa note, regrettant «l’augmentation significative du risque politique». La libération des peuples n’est décidément pas l’affaire du capitalisme. La dictature de Moubarak, c’était du solide et même un modèle de «bonne gouvernance» pour le FMI. Mais l’émancipation humaine, voyez-vous, c’est bien trop dangereux…

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 7 février 2011.]
(A plus tard...)

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Les intégrismes font leur lit non pas quand les libertés refluent, mais lorsque le capitalisme et la liberté d'entreprise progressent. Tout fondamentalisme est généré par le libéralisme. Pas besoin d'aller (même gratuitement en avion) à Tunis ou au Caire pour s'en convaincre: en France le néo-libéralisme fabrique de la désintégration sociale et donc du repli identitaire et de l'intégrisme politique, des crispations, des reculs des libertés.
Les révoltes et les émeutes égypto-tunisiennes sont les symptômes de la propagation de l'économie de marché (impliquant la culture, internet, le tourisme etc...) aux pays de la région.
Vont se mettre en place des régimes, certes, démocratiques mais parlementaires . A la place d'un roi à la tête d'un régime dictatorial on aura un roi du type bouffon comme en Italie ou en France. Quelle différence? La main invisible qui tirera les ficelles sera toujours à Washington.
Et dans la foulée ces nouveaux régimes ayant fait la preuve qu'ils ne sont qu'au service de la classe capitaliste et non pas des populations pauvres, apparaîtront des foyers d'intégrisme et à nouveau des dictatures. C'est alors qu'entrera en scène l'islamisme politique tel qu'il fonctionne en Iran et dans bien d'autres pays vivant sous un joug religieux.

Anonyme a dit…

Le dernier commentateur écrit : "Les intégrismes font leur lit non pas quand les libertés refluent, mais lorsque le capitalisme et la liberté d'entreprise progressent. Tout fondamentalisme est généré par le libéralisme." Ducoin n'écrit absolument pas le contraire. Ducoin précise : "Et si les deux révolutions tunisienne et égyptienne nous annonçaient une grande nouvelle pour l’à-venir de la région ? À savoir qu’il existe bel et bien une issue pour sortir de la posture tragique dans laquelle tous les peuples se sentaient éternellement piégés : soit supporter des dictatures, soit accepter l’avènement de partis intégristes… Cette malédiction, dictature contre intégrisme, est-elle sur le point d’être brisée ? Les intégrismes font leur lit quand la liberté reflue, pas quand elle est en pleine irruption  !"
Et c'est vraiment très pertinent. Par ailleurs, oui, les libertés refluent lorsque le capitalisme prend toute la place.
Pierre

Anonyme a dit…

je veux juste voire quelques commentaires sur l ALGÉRIE et avoir quelques avis sur sa politique qui impose l omerta depuis un beaucoup de temps

Anonyme a dit…

@ Pierre
Merci pour vos éclaircissements. La question posée aux populations divisées en classes antagonistes d'Égypte et de Tunisie peut être posée en ces termes: leur prolétariat actif parviendra-t-il à prendre le pouvoir d'État (après avoir renversé l'ancien). Cela est très souhaitable, mais très peu probable. Pourquoi? Parce que l'Islam politique a été réactivé après l'échec de la première mondialisation impérialiste (capitaliste et soviétique) C'est lui, qui, aujourd'hui et non plus l'idéal laïc/communiste est en mesure de mobiliser la colère des millions de jeunes désoeuvrés. Les émeutes sont parties des fractions cultivées (celles qui sont en rapport avec le tourisme international) de la bourgeoisie. Elles aspirent à la démocratie parlementaire comme on la connait en Europe, Russie , Amérique. Donc, au pire, de tels régimes démocratiques peuvent s'installer pour un temps. Et avec eux pour la protéger la démocratie de marché mondialisé et le bouclier américain. Mais inévitablement les antagonismes de classes vont ressurgir. Comme en Occident, les classes pauvres vont être plus pauvres et les riches plus riches. Et c'est là que les choses peuvent se gâter. N'oublions pas que les masses prolétariennes dans ces pays ne sont plus du tout organisées, que la perspective de la construction d'un monde nouveau en Terres d'Islam n'a pas de crédibilité.
J'aimerais que cette analyse soit démentie par les faits ultérieurs.