Zidane comme vous ne l’avez jamais lu,
dans un roman de Philippe Bordas.
Puissance. Ceux qui voient vite sont rares ; ceux qui écrivent plus loin qu’eux-mêmes aussi. Avec son roman "Chant furieux" (Gallimard), Philippe Bordas vise à hauteur des dieux, comme souvent avec lui, et s’il a décidé de célébrer l’un de ceux du football, Zinedine Zidane, il nous livre un monument de prose de près de 500 pages qui touche à l’exception, comme miroir des exploits d’antan du champion du monde 1998. La trame de l’histoire est simple: Mémos, un photographe (tout comme Bordas), suit la star de l’équipe de France durant trois mois, à la demande d’un éditeur. Cent jours en apnée et en chorégraphie footballistique, à la conquête éperdue d’un personnage singulièrement médiatique. Voici le récit romanesque d’une figure en chevalier, à la croisée de destins en apparence dissemblables mais qui deviennent, par la force de la littérature, la Chanson de Roland moderne et épique d’une aventure à perdre le souffle tant la puissance du verbe et des mots dribble tout ce que vous avez déjà lu sur le sujet. Bordas nous avait déjà stupéfié par son génie de la langue, en 2008, avec "Forcenés" (Fayard), dans lequel il livrait à la légende moribonde du cyclisme l’un des plus beaux textes jamais écrits, œuvre de mémoire à nulle autre semblable. L’ambition s’avère encore une fois identique, tant et tant que certains critiques disent avoir ressenti quelque chose d’étouffant dans cette lecture qui ne laisse pas indemne par son exigence et son intensité.
Car, voyez-vous, le français que pratique Philippe Bordas touche à la sublimation des phrases, toutes les phrases, aucune n’étant jamais sous-évaluée dans son style et sa place. Zidane avait inventé un mélange de généalogies: sur un terrain, il était à la fois Noureev et Cruyff. De même, Bordas aspire lui aussi au sublime et à la conjugaison ultime: il se veut à la fois le porte-parole du peuple en synthétisant et en exaltant le parler popu des cités – c’est bien ce qui dérange d’ailleurs – où ont grandi les deux personnages centraux du livre ; et en même temps il conquiert la noble lignée des Céline, des Saint-Simon, à la manière de Chrétien de Troyes comme quête jusqu’au-boutiste. D’où notre admiration devant ce texte tragiquement supérieur. Le vrai projet de Bordas, qui enrôle notre Zizou national pour la cause, consiste à réveiller la langue française, la rendre «héroïque» et multiple, insufflant ainsi une bonne dose d’espoir à ceux qui osent s’y référer, à commencer par les «crevards», comme il dit, qu’il aime sincèrement, et qu’il veut tirer vers l’excellence coûte que coûte. Nous lisons donc "Chant furieux" comme l’ode au joueur inouï et magnifique, mais également comme l’exercice de grande plume qui foudroie et dépasse par son lyrisme et son inventivité le genre même, si délaissé par les temps qui courent. Bordas expliquait récemment qu’il ne s’intéressait qu’à «trois choses» dans son œuvre, «l’aristocratie, le peuple et la langue française», autant d’aspects, selon lui, «que la middle class qui tient le monde des lettres veut voir disparaître»…
Car, voyez-vous, le français que pratique Philippe Bordas touche à la sublimation des phrases, toutes les phrases, aucune n’étant jamais sous-évaluée dans son style et sa place. Zidane avait inventé un mélange de généalogies: sur un terrain, il était à la fois Noureev et Cruyff. De même, Bordas aspire lui aussi au sublime et à la conjugaison ultime: il se veut à la fois le porte-parole du peuple en synthétisant et en exaltant le parler popu des cités – c’est bien ce qui dérange d’ailleurs – où ont grandi les deux personnages centraux du livre ; et en même temps il conquiert la noble lignée des Céline, des Saint-Simon, à la manière de Chrétien de Troyes comme quête jusqu’au-boutiste. D’où notre admiration devant ce texte tragiquement supérieur. Le vrai projet de Bordas, qui enrôle notre Zizou national pour la cause, consiste à réveiller la langue française, la rendre «héroïque» et multiple, insufflant ainsi une bonne dose d’espoir à ceux qui osent s’y référer, à commencer par les «crevards», comme il dit, qu’il aime sincèrement, et qu’il veut tirer vers l’excellence coûte que coûte. Nous lisons donc "Chant furieux" comme l’ode au joueur inouï et magnifique, mais également comme l’exercice de grande plume qui foudroie et dépasse par son lyrisme et son inventivité le genre même, si délaissé par les temps qui courent. Bordas expliquait récemment qu’il ne s’intéressait qu’à «trois choses» dans son œuvre, «l’aristocratie, le peuple et la langue française», autant d’aspects, selon lui, «que la middle class qui tient le monde des lettres veut voir disparaître»…
Acteur. Interrogé cette semaine dans un quotidien national, Zinedine Zidane, par ailleurs toujours «parrain» et ambassadeur mondial de Danone, reconnaissait encore et encore que «les joueurs doivent d’abord s’amuser», que le «jeu reste un jeu» et que «le talent ne suffit pas toujours». N’y voir que des lieux communs suffirait à notre bonheur. Sauf s’il nous avouait un jour qu’il avait eu le temps et surtout fait l’effort de lire le livre de Philippe Bordas. Alors saurait-il qu’il est enfin devenu bien plus qu’une idole du sport: un acteur des Lettres en majuscules. De celles qui transforment parfois une carrière magistrale et admirée en sujet littéraire hors norme. Inclassable en somme. Comme lui.
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 14 novembre 2014.]
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