jeudi 14 juillet 2011

Tour : du réel vers l’idéal, ou le courage ordinaire...

Au lendemain de la journée de repos, l’Allemand Greipel (Lotto) remporte la 10e étape, à Carmaux, sur les terres de Jaurès. Le Néerlandais Hoogerland a bien repris la route. Et Andy Schleick a parlé…
Carmaux (Tarn), envoyé spécial.
Et si l’ordinaire n’était pour eux qu’extraordinaire? Et si le courage, comme obligation, n’avait pour eux que la valeur d’un legs transmis entre générations par lequel l’héritage – élégiaque et tellurien – s’honore fidèlement? Qu’il le veuille ou non, le cycliste professionnel trouble mais fascine. Il suffisait de voir Johnny Hoogerland (Vacansoleil), hier matin à Aurillac, partageant la compassion d’une foule bienveillante, signant des autographes, l’air contenté, arborant le sourire fatigué de ceux qui ont trébuché dans le précipice. Lui le miraculé d’un vol plané dans les barbelés, accident provoqué par une voiture de France Télévisions. Hoogerland et ses 33 points de suture, bienheureux de pouvoir prendre le départ de la 10e étape. Hoogerland et ses maux, ses bandages et sa rancune: «Le chauffeur ne l’a pas fait exprès, mais je ne pardonne pas. Toute ma vie je garderai les marques de cette chute.» (1)

Alexandr Kolobnev.
Parce que les circonstances tragiques ou héroïques sont autant d’occasions de célébrer leur ode et parce qu’à leur manière ils comprennent le réel afin d’aller vers l’idéal (pour paraphraser Jaurès), les cyclistes donnent à aimer l’amour du vélo. Aussi, le chronicoeur voudrait parfois oublier l’envers du décor. Mais parfois seulement. Car ce décor carton-pâte ne résiste jamais bien longtemps aux intempéries. Alexandr Kolobnev en sait quelque-chose. Depuis lundi soir, le Russe est le premier coureur du Tour 2011 à subir un contrôle positif, consécutif à un prélèvement urinaire effectué par le département analyses de l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), lors de la 5e étape entre Carhaix et Cap Fréhel, laissant apparaître des traces d’hydrochlorothiazide, un diurétique possédant des effets masquants susceptibles d’occulter la prise d’autres substances dopantes – toutes les catégories d’anabolisants par exemple. Le coureur de Katusha, qui a eu la visite des gendarmes dans sa chambre d’hôtel pour une fouille minutieuse, a expliqué ne pas savoir «d’où vient» ce produit. Et de sa plus belle voix: «Quand mon équipe m'a demandé ce que je voulais faire, j'ai décidé de partir, sur une décision personnelle, afin de montrer mon respect à l'UCI et aux règles antidopage.» C’est beau comme un communiqué russe, traduit dans toutes les langues…
Entre chutes et dopage, hier, chacun y allait donc de ses commentaires d’hécatombe. Mais le suiveur n’eut pas beaucoup de temps pour enfourner fourmes d’Amberg et autres salers, déjà la course reprenait ses droits, façon us et coutume, avec notre bonne vieille échappée du jour. Celle-ci se forma dès le matin avec six hommes embarqués – El Fares, Di Gregorio, Marcato, Vichot, Minard, Delaplace –, mais ne résista pas aux vingt-cinq derniers kilomètres. Au fond, ce fut une étape assez « calme » vers l’Aveyron, conforme au scenario envisagé. Un sprint massif, duquel émargea l’Allemand André Greipel (Lotto), plus costaud que Mark Cavendish (HTC)… Des jours, comme ça, où tout va mieux.

Dans un étrange climat où de très nombreux vainqueurs potentiels ont déjà été éliminés, retardés ou diminués sur chute (Wiggins, Van Den Broeck, Vinokourov, Horner, Gesink, Klöden et même Contador), le chronicoeur repensa un instant aux propos d’Andy Schleck, lundi soir. Le leader des Leopard s’épancha quelque-peu. Après avoir rendu hommage à Thomas Voeckler, qualifiant le porteur du maillot jaune de «coureur très, très fort» faisant «de belles et bonnes choses pour le cyclisme», le Luxembourgeois avouait vivre «le départ le plus dur» de tous ses Tours de France, reconnaissant avoir vu «des choses terribles» sur la route. «Je suis déjà très fatigué», confessait le dauphin de Contador l’an dernier, avant de se projeter: «Je crois qu'on voit un Cadel Evans plus fort que ces dernières années. (…) Dans les Pyrénées, Luz Ardiden est la plus dure des étapes. Et au Plateau de Beille, il y aura une grande sélection. Mais les Alpes, on a fait la reconnaissance, et je peux vous dire que même avec dix minutes d'avance, tout peut changer. Non, on ne connaîtra pas le vainqueur du Tour dans les Pyrénées...»

Hier soir, à Carmaux, de grands portraits de Jean Jaurès trônaient sous les combles du «gymnase de la Verrerie» transformé en salle de presse. Le chronicoeur, se sentant un peu comme chez lui, voulut hurler à la cantonade une citation du grand homme: «Quand les hommes ne peuvent changer les choses, ils changent les mots.» Ou comment transformer l’ordinaire en extraordinaire – et vice versa.

(1) Signalons au passage l’incroyable toupet (et c’est peu dire) de France Télévisions qui, hier, par la voix du commentateur Thierry Adam, a renvoyé la responsabilité de l’accident au chauffeur d’un « prestataire de service » (dixit), comme s’il s’agissait de personnels subalternes n’ayant rien à voir avec la « grande maison »… Quand on s’appelle le « service public », surtout sur les routes du Tour de France, assumer est aussi une forme de courage!

[ARTICLE publié dans l'Humanité du 13 juillet 2011.]

(A plus tard...)

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