dimanche 10 juillet 2011

Eugène Varlin : le portrait en républicain
du révolutionnaire...

Militant actif de la Ire Internationale, il était l’un des héroïques martyrs, l’une des figures
les plus importantes de la Commune et du mouvement ouvrier français.

Et voilà mars, mars en frénésie dans un décor d’allégresse, mars mû par des forces collectives et transporté au loin par le vent de l’histoire qui tournoie dans les faubourgs de Paris. Ici, les têtes chauffent, les idées fusent, les corps exultent. Et sur les ruines encore fumantes d’un monarchisme toujours revanchard et des derniers feux de l’empire, dans un pays exténué par le siège des Prussiens, humilié par la défaite de Sedan et l’armistice, l’époque va choisir (temporairement) les bâtisseurs d’une société nouvelle. Eugène Varlin est l’un d’eux, l’un des gars de rien, fantômes des classes du bas qui vont tout reprendre à zéro. Des hommes de bras et des parleurs. Bientôt des héros et des martyrs. Des hommes de parole aussi – dans tous les sens du terme…

Eugène Varlin naît le 5 octobre 1839, en Seine-et-Marne, dans une famille pauvre dont le père cultive à son compte quelques lopins de terre. Très appliqué à l’école, qu’il fréquente assidûment, Eugène voue une passion à son grand-père maternel, François-Antoine Duru, membre du conseil municipal de Paris en 1848 et qui instruit son petit-fils des us et coutumes de la Révolution. Varlin sera marqué à jamais par le destin des audacieux de 1793. Comme il n’oubliera jamais, non plus, ses années d’apprentissage qu’il débute, dans la capitale, en 1852, avec une assiduité exemplaire. L’un de ses contemporains et biographes du XIXe siècle écrira : «Déjà sa taille élevée se courbait par l’habitude de la méditation. Sa chevelure abondante rejetée en arrière dégageait un front admirable. Ses yeux noirs et vifs exprimaient la mansuétude et l’énergie. Qui l’avait vu une fois ne l’oubliait jamais.» Et il détaillera ce trait de caractère : «Il s’était accoutumé à n’exprimer son opinion qu’après avoir écouté celle d’autrui. Modeste jusqu’à la timidité, bienveillant toujours…»

Le jeune homme rencontre un relieur,
Alphonse Delacour, qui l’invite à entrer dans la Société civile des relieurs, société de recours mutuel réunissant patrons et ouvriers, au sein de laquelle Varlin devient très actif. En 1864, il connaît sa première grève. Activiste mesuré mais déterminé, il est repéré par les policiers de l’empire comme «l’un des plus dangereux»! Les relieurs réclament l’abaissement de la journée de travail de douze heures à dix heures et une augmentation de salaire. En septembre, après une lutte acharnée, une majorité de patrons finit par céder. Fer de lance de la victoire, actif et imaginatif, Varlin se voit récompensé par ses camarades de grève : ils lui offrent une montre en argent...

À l’automne 1864, à Londres, Karl Marx rédige l’Adresse inaugurale de l’Association internationale des travailleurs : la Ire Internationale. Un événement fondamental dans l’histoire du monde. Quelques mois plus tard, l’Internationale s’organise à Paris. Varlin, qui fera la connaissance de Marx, en sera l’un des acteurs importants et collaborera à l’hebdomadaire de l’AIT, la Tribune ouvrière. Féministe avant l’heure (raison pour laquelle il se confronte à Proudhon au Congrès de Genève l’année suivante), Varlin se retrouve au cœur de nombreux mouvements sociaux. Il prend la parole publiquement, s’impose comme un leader, produit de nombreux écrits théoriques. Un objectif le caractérise : celui de rassembler ce qui demeure épars. Il obtient par exemple des syndicats britanniques des fonds pour soutenir la grève des ouvriers bronziers. Avec Alphonse Delacour et Nathalie Le Mel, il crée même, dans le 5e arrondissement, un restaurant coopératif, la Marmite…

En mars 1871, lorsque le peuple parisien déclenche une révolte dont le processus restera unique dans l’histoire de France, Eugène Varlin se retrouve aux premières loges. Plusieurs fois condamné à la prison, contraint à un exil en Belgique, créateur de sections de l’Internationale un peu partout sur le territoire (au Creusot, à Lille, etc.), fondateur du Comité de vigilance du 6e arrondissement, c’est un républicain expérimenté qui participe à la prise de la place Vendôme et est élu triomphalement membre de la Commune. Aux finances, puis aux subsistances, puis à la manutention, l’homme est sur tous les fronts, avec dévouement et probité, modestie et une rigueur digne de l’Incorruptible : il refuse les privilèges et ignore les passe-droits. Intransigeant jusqu’au bout, il vote en mai contre la création du Comité de salut public et signe le manifeste de la minorité, tout en poursuivant son œuvre quotidienne. Il s’oppose même, en vain, à l’exécution de gendarmes et d’ecclésiastiques.

À l’heure où les troupes versaillaises de Thiers se déchaînent et laissent derrière elles des charniers de milliers de morts, il prévient Jules Vallès que tous les Communards «seront dépecés vivants et traînés dans la boue» mais ne perd pas sa lucidité en pleine Semaine sanglante : «L’histoire finira par voir clair et dire que nous avons sauvé la république.» Le 28 mai, dernier jour du massacre, alors qu’il se trouve sur l’un des derniers lieux de résistance, épuisé, assis sur un banc près de la rue Cadet, il est reconnu puis dénoncé par un prêtre en civil. Varlin ne se défend pas et se tait. Livré à la foule, lynché, éborgné par cette tourbe bourgeoise revancharde, il est condamné à mort et fusillé. Avant de fléchir sur le côté droit du corps, il hurle : «Vive la république ! Vive la Commune !» Le lieutenant Sicre, à l’origine de son arrestation, exhibera durant des semaines, dans ses dîners en ville, la montre en argent de Varlin dont il s’est emparé…

Par Eugène Varlin s’ébauche le portrait en républicain du révolutionnaire intègre dès le plus jeune âge, à la fois agité et impassible face aux événements, qu’aucune idée de la démesure ne pouvait contraindre. Mêlé de rugosité humaine et de douceur, Varlin a disparu plutôt que de renoncer d’une manière ou d’une autre à l’idéal : celui qui donne l’empreinte à vie des chemins de la libération humaine.

[ARTICLE publié dans l'Humanité du 6 juillet 2011, dans le cadre d'une série d'été consacrée à des acteurs de la Commune de Paris 1871.]

(A plus tard...)

1 commentaire:

Anonyme a dit…

C'est vrai que le regard de Varlin semble refléter la profondeur et l'intelligence de ses choix politiques et surtout son honnêteté...sa trajectoire de vie est très éloignée de celles de nos dirigeants et de certains des leaders politiques actuels qui vivent sur une autre planète politique où scandales, rolex et collections de montres occupent malheureusement souvent le devant de la scène politique...finalement il y a un trait commun et comme une transition entre le passé et le présent dans cette belle histoire : la montre...symbole souvent présent dans l'Histoire curieusement....(le must pour la montre serait tout de même de fournir du boulot aux travailleurs dans les usines de production, on se souvient aussi du formidable combat des ouvriers grévistes des montres Lip par ex...)VARLIN n'était pas un "matérialiste politique", c'était un "puriste".Les dirigeants politiques d'aujourd'hui sont des matérialistes libéraux , décadents politiquement (l'Homme sera au centre du débat ou il ne sera pas l'Homme). Nous avons toujours beaucoup à apprendre et surtout à "modéliser" du passé....PAT