Depuis le Tourmalet (Hautes-Pyrénées).
Au cœur de cette itinérance pour équilibristes du bitume et des Lettres, une espèce de douceur unique en son genre s’impose parfois, trop rarement, surgissant là où on ne l’attend pas forcément. Voici une anecdote merveilleuse et rare, donc précieuse, d’abord rapportée par notre ami et confrère James Startt, franco-américain, puis évoquée ce matin dans Libération par notre ami Jean-Louis Le Touzet, alias l'Amiral, avec lequel nous partageons tables et vins les soirs d’étapes (sans commentaire)...
Cette histoire concerne l’inoxydable Jens Voigt (38 ans), l’un des derniers représentants de la Salle des Illustres, qui, avec ou contre tous, poursuit son bonhomme de chemin en cultivant son jardin et ceux des autres s’ils le demandent. Car voyez-vous, Voigt n’est pas qu’un coureur expérimenté, il est aussi un lettré qui traîne dans sa musette des livres, des histoires, des contes et assez de culture pour faire pâlir la plupart des suiveurs… Il lit les Français, les Américains, les Nordiques, etc. Et si besoin, il se plaît à citer Norman Mailer, comme à l’arrivée aux Rousses : « Moi-même, j’ai cru mourir. » Pour les besoins d'un prochain livre, j’ai personnellement du Marx dans le coffre arrière de la voiture de l'Huma (si, je vous assure que c’est vrai), Voigt, lui, c’est Hegel qui berce ses soirées… Que voulez-vous. Il est né en Allemagne de l’Est et n'en dit pas que du mal, ce qui n'est pas bien vu dans le peloton (et ailleurs) !
Reprenons. Voici ce qui est arrivé à notre ami-cycliste, mardi vers Pau. Pour la bonne compréhension de l'histoire, n’oubliez pas que, l’an dernier, il avait été contraint à l’abandon dans le Tour après s’être fracassé sur le sol… Mardi donc, dans la descente du col de Peyresourde, Jens tomba, assez lourdement. Encore quelques brûlures supplémentaires. Le problème, c’est qu’il cassa là sa machine, devenue totalement inopérante. Dans l’anarchie de la course, qui commençait à se décanter, il se trouva qu’à ce moment précis les deux véhicules de son équipe Saxo Bank se situaient assez loin devant lui (ce sont des choses qui arrivent dans les étapes de montagne). Instable situation, n’est-ce pas ?
Les minutes passant, un véhicule officiel finit par arriver à ses côtés… la voiture-balai. Comme il se doit, voyant le coureur en extrême difficulté, le chauffeur lui demanda : « Tu montes ? » Et notre Voigt d’hurler : « Non. Ça va pas la tête? Donne-moi plutôt un vélo. » Bonne pioche. A l'intérieur dudit balais, il y eut de quoi. Enfin façon de parler. En ouvrant le fourgon, Jens Voigt découvrit un vélo, mais de junior. Un vélo jaune. Pas du tout à sa taille, puisqu’il s’agissait d’un cadre ridiculement petit pour lui. Et tenez-vous bien, avec des cale-pieds « à l’ancienne », avec la courroie et tout et tout…
D’après-vous, que fit notre Jens ? Il enfourcha bien sûr cette machine inadaptée, et s’en fut achever la descente, comme il le put, les chaussures enfournées dans des cales préhistoriques. (Voici d'ailleurs la photo qui le prouve, publiée sur le site de James Startt, bicycling.com : http://www.bicycling.com/tour-de-france/tour-features/saying-no-sag-wagon)
Qu’on le sache, Voigt roula ainsi un peu plus de vingt bornes, le coude gauche en sang et pas mal de contusions ici et là, avant que son équipe puisse arrêter une voiture pour le secourir en bonne et due forme. C’est donc sur un vrai vélo qu’il acheva son périple à Pau, 121e de l’étape à seulement 34 minutes du vainqueur. « Jamais de la vie je n'aurai abandonné, j'aurai préféré courir à côté de mon vélo », expliqua-t-il le soir.
Sur le site http://www.bicycling.com/ où il délivre régulièrement ses impressions du Tour 2010, Voigt choisit à chacune de ses interventions un auteur qu’il veut mettre en avant. Le soir de cette embardée sur ce vélo de junior, il cita Jack London (A cheval à travers l’Arctique). Il aurait pu choisir Kerouac. Avant la Route ou Sur la Route étaient tout choisis.
Et dire qu’un jour, Jens Voigt aura définitivement décroché des pédales et ne sera plus sur le Tour… Allez, je renifle déjà.
(A plus tard…)
4 commentaires:
à cette heure tardive me voila rassurée, votre papier est bien là.
MERCI
Voilà l'une des histoires qu'on aimerait lire plus souvent. Ca rend humain toutes ces stratégies hyper formatées, et ça redonne de l'éclat à la performance des hommes...
Voilà qui est joliment raconté. Courir à côté de son vélo, n'est-ce pas ce que nous faisons tous un jour...
Très belle histoire fort bien écrite. C'est vrai aussi que Voigt fait partie de ces cyclistes qui nous permettent de croire encore un peu à la magie du vélo, ce sport que nous avons tant aimé... Certains leaders pourraient largement l'envier sur ce point.
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