dimanche 4 juillet 2010

Tour : les "forcés de la route"

Depuis Rotterdam (Pays-Bas).
Et soudain, au détour d’un virage, à la lisière d’une route sauvage, dans les embrasements d’un col surchauffé ou sur une route pavée d’orgueil, le feu sous la cendre réduit l’épaisseur du temps… Ce samedi 3 juillet, avec le départ ritualisé du Tour, va recommencer une histoire puisant loin ses racines aux origines de notre République, lorsque la France dessinait encore les contours surannés d’un Hexagone de salle de classe. Pourtant, à la faveur d’une décennie de faux-semblants, beaucoup de choses se déroulent désormais dans les arrière-cours, dans ces maudites chambres d’hôtel transformées en laboratoires ambulants… Nous aurions donc toutes les raisons de nous détourner de ce Tour. Mais il nous trouble toujours. Et si la plupart des suiveurs ont perdu leur innocence au gré des scandales, de la surmédiatisation et des intérêts croissants, il en reste encore pour s’étonner et s’émouvoir qu’on puisse martyriser à ce point une institution unique en son genre.

Après des années d’orgies en tout genre, qui ont failli assassiner la Petite Reine et le Tour avec, le dopage massif et les comportements pourris ont-ils cessé ? Ne plaisantons pas avec cette question. Si, à l’évidence, une grande partie du peloton a « désarmé », quelques équipes et une trentaine de coureurs (environ) n’ont toujours rien compris. Leur tricherie est consanguine, leur attitude mafieuse, leur mépris assumé…
C’est le Tour qu’ils insultent et qu’ils piétinent! Parmi ceux qui les laissent agir en toute impunité, il est remarquable de noter l’attitude des dirigeants de l’Union cycliste internationale (UCI). Longtemps en conflit ouvert avec les organisateurs du Tour, ils ont fait payer au cyclisme tout entier le prix d’une paix armée. Depuis deux ans, une espèce de «normalisation» en trompe-l’œil a été imposée. Le linge sale se lave de nouveau en famille…

Pat McQuaid, président de l’UCI, et ses affidés, portent un nom: des complices. Tous vendeurs d’émotion incapables d’en assumer la traçabilité, retranchés derrière le paravent bien commode du passeport biologique… Pour dire la vérité, nous n’avons pas été étonnés d’apprendre que l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), réduite à un rôle de faire-valoir, ne serait pas autorisée à effectuer des contrôles cette année. Sous le diktat de l’UCI, les raisons les plus grotesques ont été trouvées pour écarter le seul organisme capable de débusquer les vrais escrocs. Le symbole est catastrophique. On voudrait signer l’arrêt de mort d’une grande politique de prévention, qui a fait de la France, grâce à Marie-George Buffet, le pays moteur pour le monde entier, qu’on ne s’y prendrait pas autrement… Comment le gouvernement français, si prompt à donner des leçons de morale aux fédérations sportives, peut-il cautionner semblable entorse à l’éthique ? Et qu’en pense l’ami d’Armstrong, Nicolas Sarkozy ?

À tout cycliste de juillet s’agrège un patrimoine historique. Le Tour, ringardisé cette année par un Giro inventif et romantisé à merveille, restera-t-il ce monde en réduction inventant des personnages à sa démesure ? Jadis, cette démesure des forçats de la route se donnait à voir dans le spectacle d’un travail de souffrance, rétablissant l’homme dans la dignité de sa condition. Désormais, pour les « forcés de la route », cette démesure s’impacte en dollars, à la hauteur de son gigantisme et de ses temps d’antenne, balançant entre les naïvetés de ses traditions et le caractère impitoyable de la surmédicalisation. Voilà les contradictions d’un monde qui n’a pas encore cicatrisé ses plaies, ni réglé ses comptes avec tous ses tricheurs. À quand la vélorution ?

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 3 juillet 2010]

(A plus tard...)

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