vendredi 9 juillet 2010

Mondial : Orange ou Roja, le match du cœur…

Avec mon ami Christophe Deroubaix, envoyé spécial en Afrique du Sud depuis le début de la compétition, nous nous sommes livrés à un exercice (publié ce matin dans l’Humanité) auquel nous avions déjà sacrifié l'un et l'autre en 2003 sur le Tour du Centenaire, lors du duel à coups de secondes dans l'ultime contre-la-montre entre Lance Armstrong et Jan Ullrich, l'un défendant le premier, l'autre le second: un tirage au sort nous avait alors départagés, et, le croyez-vous, j'avais été contraint de plaider la cause de... Armstrong, moi qui ne jurait, à l'époque, que pour Ullrich!
Avec la finale du Mondial, Christophe a eu la même idée, appliquée cette fois à deux équipes de football exceptionnelles. Mais sans tirage au sort cette fois (il était hors de question que je n'écrive pas sur les Orange). Alors? Quel vainqueur faut-il espérer dimanche soir? Les Pays-Bas ou l’Espagne? Voici donc quelques raisons subjectives qui vous permettront de choisir qui soutenir parmi les deux rejetons de Cruyff. A Christophe Deroubaix l’Espagne; à moi les Pays Bas...

Espagne : pour Cruyff et Platini
Franchement, cela ne nous aurait pas déplu de défendre ici la cause de l’Allemagne. L’Allemagne honnie de 1982, l’Allemagne bassement réaliste de 1990 qui se réhabilite par le jeu. L’Allemagne qui dépasse son élément-force (le physique) pour tenter et approcher un football complet tandis que le Brésil délaissait son élément-force, la technique, pour tellement « discipliner » son jeu qu’elle s’en repart deux fois de suite à la maison dès les quarts-de-finale.
L’élément-force? L’Espagne a tellement cultivé le sien que ça en ressemble parfois à une science: la passe, la passe, la passe. Geste de base du football. Rien de plus simple et rien de plus compliqué. Comme un grand cuisinier dont l’art permet à un produit de base de se dépasser, l’Espagne magnifie ce geste de base. Ce geste qui fait que le football est le plus populaire des sports. Nous sommes dans la quintessence. Et le maître-queue s’appelle Xavi, petit bonhomme (1,70 mètre) de Barcelone, passeur à répétition, dans un monde qui s’empiffre l’esprit de « préparation physique ».
L’Espagne championne du monde, dimanche, ce serait la victoire à la fois de Platini et de Cruyff. De celui qui répète que le ballon va plus vite que n’importe quel joueur. Et de celui qui pratiqua à l’Ajax et en sélection néerlandaise, comme joueur, puis à Barcelone, comme entraîneur, un football total. Osons : la première étoile sur le maillot rouge, ce serait la consécration de l’esprit des Pays-Bas 1974 et de la France 1982.
C.D.

Pays-Bas : pour l’Histoire et « l’esprit »
Quand le sport convoque l’Histoire et que nos yeux d’enfants perdus retrouvent l’éclat d’un passé commotionné, il n’est jamais trop tard pour réinventer les possibilités d’un monde avorté avant terme. Il fallait être court sur pattes et déjà sérieusement atteint, en 1974, devant la première télé en couleurs de la grand-mère, pour s’emparer de « l’esprit » d’un certain Johan Cruyff et de toute sa bande de dégénérés. Elevé au rang de philosophie, « l’esprit » ne nous quitta plus. Une révolution et un fantasme. Car ce football dit « total », qui reposait sur la permutation continuelle des joueurs sur le terrain et la participation de tous à la grande Œuvre, arpentait l’inaccessible collectif.
C’était pour toute une génération l’arme secrète du dévoilement sportif, faisant voyager la fascination de Cruyff bien au-delà des frontières des terrains. Pour la pensée d’un homme, à la vision à peu près inégalée, meurtrit par l’Allemagne un jour de finale maudite et de deuil « du beau ». Pour l’honneur d’un homme aussi, qui, par son absence au Mondial 1978, protesta contre la dictature argentine en révélant au monde que la quête d’une Coupe qui lui tendait les bras ne justifiait pas les cris des torturés dans les oubliettes des stades. Pour l’immense savoir du technicien enfin, capable de rebâtir un Barça matriciel élevé au rang d’art.
Dimanche soir, Cruyff sortira vainqueur quoi qu’il advienne. En inspirateur pour l’Espagne, lui le géniteur du style barcelonais. En père-fondateur pour les Pays-Bas, où l’intelligence du foot vit depuis quarante ans, sous sa tutelle, un souci d’excellence. L’héritage revient de droit aux Orange. Le sport offre toujours une revanche à la fidélité.
J.-E.D.

[ARTICLES publiés dans l'Humanité du 9 juillet 2010]

(A plus tard...)

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