jeudi 14 janvier 2021

Domination(s)

Olivier Duhamel, le silence et l’omerta…

Cercle. Quand nous assistons à des histoires d’agonie, qui insistent et s’acharnent sur l’esprit collectif, nous ne savons plus bien où se situe l’ampleur de la décomposition et jusqu’à quel point elle reste soutenable. Les révélations de Camille Kouchner concernant les agissements d’Olivier Duhamel – qui n’a pas cherché à nier ou à minimiser les faits, selon des «proches» – nous renversent par leur laideur et offrent la possibilité à toutes les interprétations, sans parler de cette revanche inévitable contre l’entre-soi de ces réseaux de pouvoir qui ont servi et servent encore de décor aux lambris de la République. Feu ! sur les «intellectuels» de cette gauche si morale que l’expression même semble avoir perdu tout son sens. Au pouvoir s’engrène le pouvoir du pouvoir, déclenchant trop souvent des comportements de précautions. Sauf que, en l’espèce, le principe de réalité, lui, saccage tout. L’onde de choc est considérable, dans la mesure où l’intéressé disposait de tous les ronds de serviette possibles et imaginables dans les rouages des hautes sphères, de Science-Po au club du Siècle, le cercle d’influence de «l’élite française» qu’il présidait jusqu’à sa démission, le 4 janvier. «Olivier Duhamel, que l’on peut étiqueter au centre gauche, est un pur produit de la famille centriste, ce qui explique à ses yeux l’importance de ce club où convergent centre gauche et centre droit», raconte un membre influent de ce qu’il nomme en personne le «carré VIP des élitaires français». En résumé, nous venons d’assister à la chute d’un faiseur de princes, qui avait bénéficié d’une omerta assez bien organisée et plus vaste que nous ne l’imaginions. D’où certaines questions légitimes. La tonitruante affaire Duhamel se résume-t-elle à une histoire de famille? Ou concerne-t-elle tous les citoyens attachés à préserver l’État?

Posséder. Bien sûr, la description sans pitié de la Familia Grande, le livre de Camille Kouchner, laisse place aux commentaires destructeurs. Ainsi entendons-nous dire qu’il s’agissait d’une famille «disloquée», «dysfonctionnelle», «hypersexualisée» et, au final, «totalement déstructurée par l’idéologie libertaire». Duhamel, symbole et incarnation à lui tout seul de ces individus que le pouvoir protège, tandis que la société – que les mêmes critiquent par ailleurs en se délectant de bonne conscience – leur octroie tous les avantages. De sorte qu’il leur faudrait tout posséder, tout : l’argent, la domination, l’ostracisme idéologique, le sexe, ce qui les conduirait à une sorte d’arrogance de classe, puis aux déviances et, au bout, forcément, au sentiment d’impunité que leur confèrent leurs positions.


Mécaniques. Au fond, la démarche de Camille Kouchner se résume à une intention : rompre avec le silence. Silence imposé à la victime, son frère, et à elle-même. Silence assumé des autres. Pour toutes les victimes d’inceste incapables de parler pour ne pas briser ce que l’on nomme «la famille», ce livre a grande valeur. Et une vertu. Sortir du cauchemar de la honte et de la culpabilité. Et enfin fissurer les structurations quasi mécaniques de la société. Il y a un an, le Consentement, de Vanessa Springora, avait déjà narré dans le détail les liens de domination entre un enfant et un adulte. Cette domination prend racine soit dans la violence, soit dans le charisme. Le cas qui importe le bloc-noteur se range dans la seconde catégorie. Car, n’oublions jamais deux choses. Primo : nous traversons précisément une époque où les rapports de domination – le plupart du temps entre classes – expliquent en grande partie les fracturations humaines. Secundo : sachant que, en France, 10 % des citoyens avouent avoir été victimes d’inceste, circonscrire ce tragique épisode à un clan ou à un milieu social serait pour le moins réducteur, mais aussi, de toute évidence, une injustice envers toutes les victimes. 


[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 15 janvier 2021.]

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