jeudi 26 septembre 2019

Moment(s)

La France vit dans un état de tension majeur… 

Cause. Côté salut public et nobles causes, nous qui rêvions et luttons pour le renouveau d’une République à la française, nous voilà donc, jusqu’au cou, plongés dans une démocratie à l’anglo-saxonne par laquelle la relation client remplace peu à peu les acquis et l’esprit des services publics. Le train du monde – et de notre pays en premier lieu, sans chauvinisme aucun – nous paraît délictueux et frauduleux. La langue de la gestion comptable et financière s’est même substituée à celle des Illustres, et quand Mac Macron prend la parole, écoutez bien, nous ne savons en vérité qui nous devons écouter. Le technocrate pétri de précision ? Ou le président en mission œcuménique au profit des puissants? De cet imaginaire glaçant, devenu réalité imposée, nous sentons poindre une sorte de tentation autoritaire, idéologique et pratique. D’autant qu’une partie non négligeable de nos concitoyens en âge de voter se déclarent ouvertement tentés par les manières fortes, se délestant de l’idée même de «démocratie» en souhaitant un «régime fort» de type bonapartiste, voire pire. De Nicoléon à Mac Macron, de dérives en dérives, le culte du gagnant a pris le pas sur l’intérêt général et les causes communes. Nous n’y étions pas préparés, mais nous y sommes. Un peu hagards, très révoltés. Comme l’écrivait Régis Debray dans Bilan de faillite (Gallimard, 2018): «Un voyage en business class ou une marque de blouson reste une contrefaçon, à côté des bouffées d’oxygène qu’offre, à de rares moments, l’adhésion à une cause poussée jusqu’à l’oubli de soi.»

Tactique. Sans excès d’optimisme aucun (sauf à sombrer dans un pessimisme éthique), le bloc-noteur le sait et le répétera inlassablement: les combattants oublieux d’eux-mêmes existent encore, plus nombreux qu’on ne l’imagine. Eux connaissent le goût du sel parce qu’ils ont le sens de l’existence. Le «moment» s’avère d’ailleurs propice. Retraites, climat, services publics, indemnisations chômage, gilets jaunes: gare à l’incendie! Autant le dire, la France vit dans un état de tension majeur et nul ne peut prévoir si les colères ne vont pas se coaliser sous la forme d’une mobilisation de masse qui, espérons-le du moins, pourrait rivaliser avec celle de l’hiver 1995. Du côté du Palais, la menace de cette contagion inquiète sérieusement.

Pourtant, Mac Macron mise sur la tactique et tente une double opération: détourner l’attention des questions sociales et environnementales, se délestant des enjeux fondamentaux ; préparer d’ores et déjà l’élection présidentielle, ce qui justifie, à ses yeux, d’infléchir son discours sur l’immigration, puisant dans le laïus infâme de l’extrême droite afin de préserver son tête-à-tête avec Fifille-là-voilà et/ou Maréchal-le-retour. Il n’entend pas la souffrance du pays, il ne voit pas la crispation généralisée qui monte, il ne répond à rien, mais en cette rentrée, son principal sujet de préoccupation fut l’immigration. La stratégie adoptée? Contrer l’extrême droite sur son propre terrain, soufflant sur les braises. Comme Nicoléon il y a dix ans. Une abjecte visée électoraliste, à laquelle il ajoute une insulte : non seulement il a osé opposer les classes populaires à l’immigration, mais il a pointé ces mêmes classes populaires comme l’épicentre de la xénophobie. Honte.

Imposture. Pendant ce temps-là, rappelons-nous que le vertige de la spirale sociale tombant vers les abysses ne se soigne pas à coups de mots. Les fractures et les haines qu’elle engendre sont là, devant nous, tels des incendies à plusieurs feux. Le dossier des retraites illustre totalement ce «moment». Car nous nous souviendrons longtemps que deux mots aux emprunts robespierristes – «égalité» et «universalité» – auront été utilisés en boucle par l’exécutif pour justifier une réforme injuste. Denis Sieffert l’écrivait l’autre jour dans Politis: «Prétendre créer une égalité de traitement au travers du seul système de retraite alors que tout, par ailleurs, produit de l’inégalité, relève de l’imposture.» Pas mieux.

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 27 septembre 2019.]

Aucun commentaire: