mercredi 5 septembre 2018

Le doute

Voulez-vous vraiment que votre employeur devienne votre percepteur, avec des risques conséquents de rétention ou de fraude et, ait accès, de surcroît, à vos données personnelles?

Les grandes décisions régaliennes ne se prennent jamais à la légère. Surtout quand il s’agit de nos impôts, l’une des prérogatives sacrées de l’État républicain. Le psychodrame politique auquel nous avons assisté concernant le prélèvement à la source n’a rien d’anecdotique. Il est même essentiel et témoigne de l’ampleur du trou d’air qui frappe l’exécutif. L’affaire a donc été tranchée par le président. Fin de la cacophonie, peut-être. Fin des inquiétudes, sûrement pas. Car cette réforme à haut risque, qui s’inscrit parfaitement dans les canons de Macron bien qu’elle fût initiée par son prédécesseur, possède désormais une double particularité: elle est à la fois synonyme de dangers et de doutes. Dangers, dans ses logiques mêmes. Doutes, dans la tête des citoyens contribuables, dont on mesure mal les effets psychologiques.

«Modernisation» et «simplification» sont les maîtres mots des thuriféraires de ce big bang fiscal aux vices cachés. Contrairement aux affirmations gouvernementales, le prélèvement à la source n’apportera aucune efficacité supplémentaire quant au recouvrement de l’impôt sur le revenu, celui-ci étant aujourd’hui recouvré à hauteur de 99% par l’administration, dont près de 70% au moyen des prélèvements mensuels. Mais, il y a plus grave, car cela touche aux principes d’organisation de la société républicaine: c’est à l’État de lever l’impôt. Voulez-vous vraiment que votre employeur devienne votre percepteur, avec des risques conséquents de rétention ou de fraude et, ait accès, de surcroît, à vos données personnelles? Ce ne sera rien d’autre qu’une privatisation de la mission publique de recouvrement. S’ensuivra une probable fusion de l’impôt sur le revenu et de la contribution sociale généralisée, ce qui pourrait mettre en péril la progressivité de l’impôt. Rappelons aux oublieux que les services de la Direction générale des finances publiques ont perdu plus de 30 000 emplois en dix ans ; d’autre sont déjà programmés. Et pendant ce temps-là? Toujours aucune annonce afin de lutter contre l’évasion fiscale, qui prive les comptes publics d’environ 80 milliards d’euros…

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 6 septembre 2018.]

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