mercredi 13 juillet 2016

Tour : le vent le portera

Dans la 11e étape, entre Carcassonne et Montpellier (162,5 km), Peter Sagan l’emporte devant ses compagnons d’échappée, parmi lesquels Christopher Froome, le maillot jaune en personne, qui reprend une dizaine de secondes aux autres favoris. 

Montpellier (Hérault), envoyé spécial.
Sagan et Froome.
Ceux qui cherchent encore un sens émotionnel au Tour – nous ne parlons pas là de la course elle-même, qui impose sa vie en propre sans se soucier du mythe qu’elle se surprend parfois à honorer ou à profaner – aurait dû suivre le chroniqueur dans sa voiture de l’Humanité, mercredi 13, entre Carcassonne et Montpellier, pour la dixième étape (162,5 km). La topographie du parcours, en apparence assez plane, n’offrait à priori qu’un décor paisible et champêtre au temple de Juillet, pour une grande et plutôt belle visitation des vignes locales, par l’Aude et l’Hérault, croisant par dizaines des villages de pierres érigés à flancs de collines. La particularité de cette traversée d’ouest en est pour rejoindre les presque bords de la Méditerranée, était pourtant attendu depuis le matin: le vent. Pas de ces vents d’été qui flottent à la surface des choses en rafraîchissant les âmes cuites. Non, l’un de ces vents qui se frottent depuis les terres du massif central jusqu’au plaines narbonnaises et catapultent tout sur son passage. Si le chronicoeur fut contrôlé à 66 km/h dans une ligne droite par la zélée maréchaussée, les rafales, elles, atteignaient des pointes de 90 km/h. Eole avait décidé de s’en donner à cœur joie. Quand le peloton s’ébroua par-delà les côtes de Minerve (km 38) et de Villespassans (km 57), les coureurs étaient déjà à l’ouvrage. Le cyclisme, sport de voile, se prête mal aux flots des cieux. Les suiveurs, arrimés à leur passion, apprécièrent et salivèrent. Forcément, quelque chose allait survenir. 

Et que dire alors de cette foule compacte. Mais quelle foule mon dieu (celui du vélo), amassée telle une haie d’honneur de bout en bout. Prodigieux Peuple du Tour, dont on ne sait plus bien ce qu’il vient chercher sur les bords de routes – peut-être se regarde-t-il lui-même d’ailleurs –, à tendre des mains pour choper le moindre présent de la caravane, à crier sa joie d’y être, simplement d’y être, la banane aux lèvres, en famille, en groupe ou en solo. Croyez-nous: une rangée de milliers et de milliers d’yeux dans l’inextricable réseau de fils des regards très mobiles, tant et tant qu’ils finissent presque par lasser le chauffeur, pourtant peu avare en émotions dans ces moments-là. Dans ces chaleureuses ambiances de kermesse ensoleillée, ultra populaire, dispendieuse d’un amour incertain, nous entendions l’affection du peuple à l’heure de la sieste. Et aussi, trop rarement sans doute, une forme d’engagement. Ce fut cet homme, au village-départ, traînant une immense croix en bois sur son dos, une inscription figurant à sa base: «Ci-gît la loi travail.» Ou un peu plus loin, vers le kilomètre 80, une banderole tendue par une femme: «Contre le 49-3, ça va Bardet!», du nom du grimpeur français. Quelquefois, nous eûmes des éléments de langage plus prosaïques, moins idéologiques, au passage d’une femme ensoleillée à la portière d’un véhicule: «Oh, sexy les pieds!» Ou encore: «Pas mal.» Le Tour dans ses emportements, par sa respiration des congés payés, libre et expressive. 

Mais revenons au souffle mortel qui balaya le peloton durant toute l’après-midi, par une «simple» étape de plat. La tenaille de la souffrance et de la crainte des bordures fut telle, que les grosses équipes machinèrent des tas de stratagèmes pour à la fois se protéger d’éventuels pièges, mais surtout pour éprouver la concurrence. L’animation s’avéra totale. Presque crispante. Les cassures rythmèrent toute la course et nous crûmes à plusieurs reprises que quelques leaders allaient tout perdre. Mais, à la faveur des villages enchaînés, qui brisèrent souvent l’allure des groupes successifs en raison de leur exigüité et de la présence croissance de ralentisseurs (la plaie des cyclistes professionnels !), l’essentiel de la troupe des favoris se regroupa dans les trente dernières bornes. Du moins jusqu’à douze kilomètres du but. Là, le diable Peter Sagan, détenteur du maillot vert, décida de dynamiter la course et se montra le plus offensif, sinon le plus «intelligent». Accompagné de son coéquipier Maciej Bodnar, il accéléra la cadence et s'échappa. Le seul qui put le suivre dans un premier temps portait un nom bien connu: Christopher Froome. Le maillot jaune en personne se joignit au champion du monde pour tenter de grappiller quelques secondes, vite rejoints par Geraint Thomas, équipier de Froome. Nous vîmes alors un spectacle assez surréaliste. Deux coureurs Tinkoff jouaient l'étape. Deux coureurs Sky pensaient au classement général. L’écart monta jusqu'à 20 secondes. Mais à l’arrière, grâce aux de sprinteurs, certains leaders comme Nairo Quintana parvinrent à limiter la casse, ne perdant au final qu’une dizaine de secondes. Tout ça pour ça… Sagan s'imposa au sprint, justement devant Froome, venu chercher les bonifications. Qui l’eut cru? Dès lors, le chroniqueur se posa la seule question valable concernant Froome: était-ce un acte de force ou de faiblesse? Nous le saurons vite.
 
Les perdants du jour furent Joaquin Rodriguez et Pierre Rolland, qui lâchèrent 1'10’’ sur le maillot jaune. Chris Froome compte désormais 28 secondes d'avance sur Yates, 31 sur Dan Martin et 35 sur Quintana. Signalons enfin que le patron du Tour, Christian Prudhomme annonça, peu après l’arrivée, que la 12e étape, jeudi 14, se terminera finalement au Chalet Reynard, à 6,5 kilomètres du sommet du Mont Ventoux, en raison des conditions météo. L'arrivée devait initialement être jugée au sommet du Géant de Provence, mais les violentes rafales de vent – toujours le vent! – prévues par Météo France ont amené les organisateurs à prendre cette décision à la veille de l'étape. Quelques rares ténors devaient l’avoir mauvaise. L’ultra-majorité des autres sabrait déjà le champagne. Le «Mont Chauve» se dressera malgré tout sous les roues des rescapés, qu’ils escaladeront jusqu’à la sortie de la forêt. Evitant les 6500 derniers mètres, dans un paysage de désolation. Echappant à l’angoissant théâtre pierreux où l'air se raréfie. Sachez-le: le chronicoeur renifla un bon coup.
 

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