jeudi 20 juin 2013

Critique: Lance Armstrong, ou le bûcher des vanités du cyclisme

Voici l'article d'Alain Nicolas publié dans l'Humanité du 20 juin,
consacré à la sortie de mon roman.

Le destin de l’homme qui a fait passer le vélo de l’épopée au roman des illusions perdues.
Go Lance! de Jean-Emmanuel Ducoin.
Roman, éditions Fayard. 540 pages, 25 euros.

On sait tout de Lance Armstrong. Ses débuts. Son cancer. Ses Tours miraculeux. Ses dénégations. Sa déchéance finale. On sait qu’il est le plus parfait représentant de la génération qui a fait passer le tour de l’épopée à la sitcom. Bref, on n’en entend plus parler, et c’est tant mieux. Et voilà qu’un écrivain vient nous dire que depuis le début il y avait erreur de casting. Il ne s’agit plus de saga sportive, mais d’un nouveau livre à ajouter à la bibliothèque du rêve américain, d’un roman, en somme. Et là, nous savons que nous ne savons rien de Lance Armstrong : lisons donc sa vie comme le roman qu’elle n’a cessé d’être. Lisons-la, comme l’écrit Jean-Emmanuel Ducoin, non comme une suite d’anecdotes pour journalistes en mal de «petits faits vrais» ou comme un dossier juridico-sportif, mais comme une fiction qui condense la vérité d’un destin emblématique.

Et peu importe alors que le premier vélo de Lance Armstrong ait ou non été vraiment marron avec des roues jaunes. L’important est qu’on nous l’écrive, que cela prenne sa place dans cette totalité narrative ou tout a un sens. Le premier vélo de Lance Armstrong est donc peu glamour, sa mère l’a obtenu au prix d’une forte ristourne, et pour le gamin de sept ans, c’est la liberté sous les mollets. La mère, Linda Mooneyham, lui murmure depuis avant la naissance: «Fais de chaque obstacle une chance nouvelle.» Voilà comment se programme un personnage dont la vie est celle d’un héros de roman. Jean-Emmanuel Ducoin va ainsi emboîter le pas de celui qui, dès sept ans, se voit pédaler comme le meilleur cycliste du monde.

Les épisodes s’enchaînent, épousent la courbe de la success story suivie de la descente aux enfers. Et comme toujours, ce qui fait la différence entre une novélisation journalistique et un roman, c’est la manière, et la matière. L’auteur construit, pas à pas, loin des conventions, un personnage complexe, victime et bourreau, naïf et manipulateur. L’important, peut-être, est la façon dont sont traités les points de basculement de la trajectoire de Lance. Dialogues, passages narratifs et encarts (articles de presse, témoignages, entretiens), parfois inédits en France, composent des nœuds denses où tous les registres, du burlesque au tragique, sont convoqués. On lira ainsi les grands moments publics, les triomphes ou les catastrophes, mais aussi les rendez-vous secrets avec le destin, comme l’été où Lance dessine, dans l’équipe Motorola, le pacte faustien avec l’EPO. Nul besoin d’avoir vibré aux passages des cols pyrénéens pour aimer ce livre, qui fonctionne comme un millefeuille de sens, une coupe dans l’imaginaire de la réussite sportive comme métaphore d’une illusion magnifique et vénéneuse. Au moment où le Tour prend le départ, s’il y a un cadeau à se faire, c’est bien celui-là.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Je suis impatient de lire ce livre, vraiment.

Anonyme a dit…

J'ai acheté le livre samedi dernier à Paris, je l'ai lu immédiatement: je tiens à vous dire merci pour ce récit absolument fabuleux. C'est du Ellroy, c'est du Wolfe, c'est un grand roman à la fois sombre et éclairant. BRA-VO !!!
Paul

Anonyme a dit…

J'ai fini la lecture : une stricte merveille, souvent épurée, parfois tragique. Un vrai, un grand roman américain. Mille bravos à JED. Un romancier, un grand, est né. Je pense que ce livre aura des prix.
Toutes mes pensées.
PHILIPPE