vendredi 28 octobre 2011

Tunisie : quelques mots concernant le processus démocratique...

La victoire d’Ennahda doit-elle jeter un trouble sur la transition parlementaire tunisienne ?

D’abord, une évidence. Alors que la Tunisie vient de franchir une étape majeure dans l’élaboration de sa propre histoire émancipatrice, comment ne pas saluer la réussite du processus électoral? Et comment ne pas reconnaître que ces élections, par leur ampleur, qui dépasse toutes les espérances, scellent une victoire pour la démocratie tunisienne que peu d’observateurs occidentaux croyaient possible? Dans le calme, avec fierté, les Tunisiens ont ainsi célébré leur toute première élection libre, signant d’une empreinte bleutée un acte politique majeur qui, espérons-le, se traduira un jour ou l’autre par la construction d’une nouvelle Tunisie authentiquement populaire – fruit de leur révolution.

Les 90% des électeurs potentiels qui se sont déplacés sont autant de symboles de la soif de démocratie et de la vitalité de ce peuple. Depuis l’éclosion des printemps arabes, la Tunisie aura ainsi impulsé le tempo de la révolte, jusqu’à imprimer sa marque démocratique, dont l’écho, assurément, se fera sentir sur tout le pourtour méditerranéen. Avec cette envie de liberté et de justice sociale, dans un pays où le taux de chômage atteint les 20%, avec cette volonté d’en finir avec un système corrompu, l’élan ne pouvait être que massif dans cette phase transitoire de l’Assemblée constituante. Comme une manière d’honorer la mémoire de Mohamed Bouazizi, suicidé par le feu pour protester contre la police qui l’empêchait d’exercer un commerce ambulant. Les jeunes révoltés, en masse, avaient pris la relève pour en finir avec le pillage des richesses organisé par le clan Ben Ali-Trabelsi, sous le regard complice de la France de Sarkozy... Les Tunisiens, alors frappés dans leurs chairs, ne sont pas près d’oublier l’attitude cynique des dirigeants français, et singulièrement de Michèle Alliot-Marie, ministre des Affaires étrangères, tellement aveuglée par sa croyance d’un Ben Ali éternel qu’elle avait proposé le «savoir-faire de nos forces de sécurité» pour aider la dictature!

N’en déplaise à certains, c’est aujourd’hui un peuple souverain qui s’est exprimé. Et cette affirmation fondamentale ne nous empêche pas de nous interroger sur les résultats de ce vote. Que retiendra d’ailleurs l’Histoire, avec la majuscule qui sied à sa trace? La date du 14 janvier 2011, jour où Ben Ali fut chassé du pouvoir? Ou le 23 octobre 2011, jour de premier scrutin censé marquer l’an I de la révolution tunisienne? Posons la question autrement : malgré l’émergence d’une opposition assez forte, la victoire d’Ennahda, le parti islamiste, doit-elle jeter un trouble sur la transition parlementaire, puisque l’Assemblée élue sera chargée de l’élaboration de la nouvelle Constitution? Alors que la charia vient d’être brutalement adoptée en Libye, chacun voit bien le danger que peut représenter un groupe parlementaire islamiste tout-puissant, même si les responsables d’Ennahda ont pris soin de se désolidariser des récentes exactions de mouvements islamistes, comme les salafistes. «Ne pas donner sa voix à un candidat tunisien de l’islam est un péché», a pourtant déclaré Youssef Al Qaradawi, le prédicateur cheikh, qui, depuis le Qatar, soutient Ennahda par la grâce de ses capitaux… Ne dit-on pas que les affairistes recyclés du RDC d’hier seraient prêts à s’allier avec les parlementaires islamistes? Le néolibéralisme d’un côté, la religion de l’autre...
Il faudra manifestement du temps – et de la solidarité internationale – pour bâtir un État de droit dans la justice et l’égalité. Un nombre croissant de citoyens pensent qu’ils doivent désormais assumer le principe d’une séparation du politique et du religieux, condition indispensable pour que le monde arabe (re)devienne le creuset d’une nouvelle modernité. Sur le terreau des dictatures, l’idée reste pour l’heure minoritaire.

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 25 octobre 2011.]

(A plus tard...)

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Il ne suffit pas de procéder à des élections pour que la situation se stabilise (dixit l'Egypte etc...et d'autres pays sur d'autres continents...) la mise en place de cette stabilité sera difficile, comme ailleurs, y compris dans les décennies qui viennent.Souhaitons leur de réussir au mieux et avec les moyens dont ils disposent cette transition périlleuse car ils ont des richesses humaines (des journalistes, des associatifs, des institutionnels, des enseignants au masculin et au féminin...) que je connaissais mal avant de les entendre le mois dernier dans ma ville. Ce fut un très beau moment partagé pour discuter de cette (r)évolution.Des Tunisien(nes) formidables. Rien à ajouter. Quand on croit et que l'on aime la Communauté des Hommes tout est possible. Ils l'ont fait. Ils le feront, je l'espère. PAT

Conquistador a dit…

Bonjour M. Ducoin;
Vous dîtes qu'il faudra du temps et de la solidarité internationale pour bâtir un État de droit et de Justice. Et vous laissez entendre que cet État devra à l'enseigne de ceux de l'Occident être séparé, débarrassé en quelque sorte de sa gangue religieuse.
Au fond vous vous situez dans la perspective occidentale de Huntington l'auteur de "The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order". Une perspective qui vient de loin puisque formulée déjà à l'époque des premières Croisades en latin par le pape Grégoire VII (1073-1085) et en ces termes: "Reformatio totius orbis" soit: redonner forme - révolutionner, le monde tout entier.

Qu'est-ce qui a redonné OTAN de vigueur à ce mot d'ordre incrusté dans l'histoire deux fois millénaires de l'Occident?
Qu'est-ce qui pousse une nouvelle fois les occidentaux à partir dans de nouvelles croisades pour apporter aux peuples et aux cultures autres notre civilisation (en réalité le droit civil romain que la papauté a repêché au XIème siècle), notre conception duelle du pouvoir, le "politique" d'un côté, le "religieux" de l'autre. Et l'affaire est classée!
(Conception mise en exergue dans le décret de Gratien: "Humanum genus duobus regitur": le genre humain est gouverné selon deux mesures. Sous-entendu par le "droit romain", le "ius civile Romanorum" et le "droit canonique")

Il est intéressant, je suis sûr que vous en conviendrez, de voir à nouveau l'Occident se projeter "Armis et Legibus" (devise impériale romaine), par les armes et les lois (le droit, les "droits de l'homme")dans une nouvelle tentative de conversion de l'ordre symbolique islamique (itjihâd, sharia).

Ô certes, les conditions, les circonstances n'ont plus rien à voir avec d'autres périodes de conquêtes impériales et colonisatrices. Mais le fait est, que le projet chevillé au corps de l'Empire euro-américain est toujours le même. Et que nous serions bien en peine de nous en séparer puisqu'il nous constitue.

Salutations

Anonyme a dit…

La séparation de l'église, du religieux et de l'Etat, du politique, serait occidentale ? Une forme de néocroisade ? Comment expliquer alors qu'elle soit une revendication d'un nombre considérable de tunisiens ? Y aurait-il de bons Tunisiens, les religieux, et de mauvais, les laïcs, suppôts de l'occident ? Qui doit décider des valeurs fondamentales qui fondent le pacte social, le religieux ou le politique ? Si c'est le religieux, cela peut-il être un fait démocratique, c'est-à-dire dépendre du libre et permanent examen du peuple ? Cela ne relève pas de la guerre des civilisations mais de la possibilité du libre choix par les hommes de leur existence, de leurs valeurs et donc d'aller par exemple à l'encontre de préceptes religieux si telle est la volonté du peuple ! Cela suppose la laïcité comme condition obligée absolue de la liberté ! Salutations.

Anonyme a dit…

On pouvait aussi boycotter ces images. C'est ce que j'ai fait.
Marc Laroche