dimanche 27 février 2011

Multiver(s) : à nous autres, petites poussières d'étoiles...

Univers. Nuit étoilée – vent frais. Des transats et des couvertures pour tout confort. Et une contemplation d’autant plus météorique qu’elle survient en poésie suggérée… Confrontés à cet exercice élémentaire venu du fond des âges qui consiste, une fois n’est pas coutume, à scruter la voûte céleste comme appropriation d’un questionnement redimensionné à notre stricte échelle (humaine), il convient de libérer son esprit pour que l’imagination dépasse sa propre imagination, que la prodigieuse densité de nos songes devienne évanescence sublimée. Dans l’Univers expliqué à mes petits-enfants, (Plon), l’astrophysicien Hubert Reeves évoque ce qu’il appelle «le sentiment de notre présence parmi les astres». D’où venons-nous? Où allons-nous? Que savons-nous? Le mystère métaphysique l’emporte-t-il sur la science?

Chapelle Sixtine, Michel-Ange.
Instantanée. Pour chacun d’entre nous, l’univers et sa perception réelle commencent ainsi : ce que nous sentons et ressentons, ce qui nous permet de voir et d’écouter, de percevoir à la fois notre monde intérieur et notre monde extérieur. Indispensable aller-retour de notre intelligence pourtant limitée aux frontières des connaissances actuelles, à partir desquelles nous pouvons lire comme dans un livre ouvert – mais seulement les tout premiers chapitres. Devant cette myriade de points brillants plus ou moins scintillants, choisissons par exemple la constellation d’Orion. Que nous enseigne-t-elle? Une chose fondamentale : quand nous observons un astre très éloigné, nous le voyons tel qu’il était dans un passé lointain, très lointain parfois. Orion nous renvoie ainsi «l’image» étincelante d’un instantané dont la lumière a voyagé durant mille cinq cents ans avant de nous parvenir, franchissant allègrement l’Empire romain, le Moyen Âge, la Renaissance et toutes les époques contemporaines. Hubert Reeves résume : «Regarder loin, c’est regarder tôt.» Savez-vous que l’étoile polaire, première à éclairer la nuit en nous indiquant le nord, se situe à quatre cent trente années-lumière? Pour parvenir jusqu’à nous, cet éclat incomparable a quitté son étoile autour de l’année 1580…

Le cosmos.
Pudding. Poussières d’étoiles nous sommes – poussières d’étoiles nous redeviendrons. «En nous parlant de l’Univers, affirme Hubert Reeves, la science cherche à connaître tous les événements qui se sont succédé dans le ciel et sur la Terre et qui ont eu pour résultat notre propre existence. Elle nous raconte notre propre histoire.» À commencer par l’univers en expansion. Toute comparaison nous aide à nous représenter le phénomène. D’où le fameux pudding aux raisins. «Dans une pâte contenant de la levure, on a mis des raisins secs, explique Reeves. On met le four et on observe ce qui se passe. La pâte, en gonflant, entraîne dans son mouvement les raisins qui s’éloignent lentement les uns des autres. Maintenant, imaginons que nous sommes installés sur un des raisins et regardons autour de nous. Nous verrons alors nos voisins raisins se déplacer d’une façon très particulière. Les plus proches bougent lentement tandis que les plus lointains vont beaucoup plus vite… mais tous s’éloignent dans un grand mouvement d’ensemble. On dira que le pudding est en expansion.» Comme l’univers. Qui «ressemble à un pudding quant à ses mouvements», mais qui en «diffère par la forme». Le pudding possède un centre et un bord, il s’étend dans l’espace vide du four. «Notre Univers n’a ni centre ni bord, raconte Reeves. Au meilleur de notre connaissance actuelle, il n’y a pas d’espace vide autour de lui. L’Univers, ce sont des galaxies partout. Et elles s’éloignent les unes des autres.» Puisque le scénario du big bang comme «horizon» de notre passé (et non comme «début») reste pour l’instant, dans ses grandes lignes, la meilleure narration du passé du cosmos, la relativité d’Einstein nous donne une indication précieuse: si notre univers est en expansion, il refroidit…

Vénus.
Lois. «Absence de preuve n’est pas preuve d’absence.» Hubert Reeves aime à déjouer les évidences. Après l’épisode des atomes prétendument «incassables» et des protons prétendument «premiers», nul ne peut désormais s’aventurer à affirmer que les scientifiques ont enfin atteint l’échelon bas, celui où se trouveraient les «particules élémentaires». Il en va de même avec le cosmos et s’il suffisait de se dire «j’existe» pour éprouver l’une des plus extraordinaires prouesses de l’univers, pourquoi chercherions-nous encore quelques réponses introuvables? En effet, comment les molécules qui nageaient dans les eaux ont-elles pu s’agencer pour former un organisme capable de se nourrir et de se reproduire? Les scientifiques n’en savent rien, aucun scénario n’existe à ce jour. Mais il a fallu les travaux de Galilée et de Newton pour dépasser notre vision de l’univers imaginé par Aristote. Alors? «Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?», demandait Leibniz. Récemment, des scientifiques ont sérieusement émis l’hypothèse que notre univers ne serait qu’un cosmos parmi quantités d’autres. L’ensemble de ces univers est communément appelé «multivers». Conclusion? S’il existe d’autres univers et si ceux-ci obéissent à des lois différentes des nôtres, faut-il encore s’étonner de la fertilité du nôtre, fruit d’événements qui ne sont que l’advenue du réel en tant que possible futur de lui-même? La durée de notre existence est «comme l’épaisseur de la couche de peinture au sommet de la tour Eiffel par rapport à la hauteur de la tour», disait Mark Twain. Rien n’est écrit à l’avance.

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 26 février 2011.]
(A plus tard...)

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Voilà bien le genre de textes que nous n'avons pas l'habitude de lire dans l'Huma et même ailleurs. Prendre ainsi un peu de hauteur n'est pas donné à tout le monde : mille mercis pour ce bel exercice de style, qui nous emporte loin dans notre petite condition. Fantastique.

Anonyme a dit…

Hubert Reeves est lui aussi un grand sage, comme Edgar Morin dont a parlé DUCOIN il n'y a pas si longtemps. Les "anciens" ont décidément beaucoup à nous apprendre et nous aident, aussi, à prendre du recul sur ce monde qui va vite, très vite... Merci pour les étoiles dans nos têtes, en tous les cas !!!

Anonyme a dit…

Il y a quelque-chose de réjouissant à lire ce texte. Une espèce de profondeur toute simple en apparence, mais bien plus complexe en vérité. Le questionnement suggéré est assez judicieux, pour tout dire, carrément délesté de superficialité. Cette gravité est-elle pessimiste? Voilà une belle question. En effet, "rien n'est écrit à l'avance", rien de rien. Et se rappeler un peu qui nous sommes, dans notre condition réel, n'est pas un mal...
Merci pour ce beau texte.

Anonyme a dit…

Tiens, voilà des photos : c'est très bien !!! Merci.

Anonyme a dit…

Pour un athée comme vous, Jean-Emmanuel, oser mettre cette toile de Michel-Ange est un ravissement pour le coeur et les yeux !!! Un signe sympathique en tous les cas...
CAT.

Anonyme a dit…

Hubert REEVES est une homme passionnant, un grand professionnel et un écrivain vulgarisateur scientifique et orateur né. Je ne sais ce qu'il pense des hypothèses de vie extra-terrestre du Dr Richard Hoover chercheur et astrobiologiste de la NASA mais cela m'intéresserait de le savoir...en attendant je vais me contenter de consulter the journal of cosmology" (US). A toutes et tous bons rêves de vie terrestre ou extra la tête dans les étoiles...PAT