lundi 29 novembre 2010

Changement(s) : quand Nicoléon joue son pire rôle...

Nicoléon. «Tout entreprendre pour que la mystique ne soit pas dévorée par la politique à laquelle elle a donné naissance.» La phrase de Péguy, par son pouvoir historico-intrusif, a ceci de particulier qu’à chaque re-visitation intensive, nous apparaît plus grande encore son implication allégorique. Allez savoir pourquoi, mais ce sont ces mots et nuls autres qui ont hanté notre esprit l’autre soir, après la prestation de Nicoléon à la télévision. Comme une «esquive» nécessaire, un «pas de côté», tant fut grande notre affliction et intense notre dégoût. Autant par ses propos que ceux de quelques éditocrates peu honteux de leurs va-et-vient idéologiques depuis trois ans. Lisons-les pour le croire. Ainsi donc, le petit monarque-élu, «avant de remanier le gouvernement», se serait «remanié lui-même» en «fendant l’armure» de sa personnalité profonde au prétexte qu’il aurait admis avoir vécu «de brefs moments de découragement devant la dureté de la vie politique»… Ainsi donc, il aurait montré une «certaine force tranquillisée pour ne pas dire une force tranquille», apparaissant «humain et humble»… Ainsi donc, il aurait imposé le «retour du “nous”» et «de la modestie», trouvant «le chaînon manquant avec ce chiraquisme avec lequel il nous promettait une rupture spectaculaire et flamboyante». N’en jetez plus !

Inconscient. Quand les commentateurs perdent à ce point les pédales et le sens non seulement de la mesure mais de la réalité, comment s’étonner que la paresse des valets l’emporte sur l’ivresse des douteux. D’ailleurs, avez-vous regardé attentivement les trois intervieweurs des trois chaînes choisies par le Palais ? Pour un peu, ils se seraient presque excusés d’être là, de poser des questions pourtant nullement dérangeantes, obséquieux jusqu’à l’effacement devant les innombrables mensonges et imprécisions d’un Nicoléon plus cynique et joueur que jamais… Ne boudons pas notre plaisir : le seul moment intensément drôle survint lorsque, interrogé sur son rapport au pouvoir, ce fut son inconscient qui s’exprima bien involontairement. «Ma détermination n’a rien changé», lâcha le monarque, perdu en lui-même. Nous supposons qu’il voulait dire : «Ma détermination est inchangée.» Admirable.

Logiciel. «Il a changé ! Il a changé son logiciel !» Voilà ce qu’on tente de nous faire croire à nouveau. Jusqu’à un certain point du moins. Face à ce chaos surréaliste, avez-vous ressenti, vous aussi, cette cruelle impression de revenir en arrière ? Souvenons-nous. En 2007, le mot à la mode était précisément ce «logiciel», qui avait dominé la campagne électorale au point qu’une partie de la gauche – vous savez, les «modernistes» de tout poil comme Bernard Kouchner qui vantaient la candidature de Ségolène Royal – ne cessait d’évoquer un «problème de logiciel», réclamait un «changement de logiciel», affirmait qu’il fallait «inventer un nouveau logiciel», etc. Cette métaphore empruntée à la machine et à l’usinage technologique nous renvoyait à notre ambition journalistique et littéraire. On ne parlait plus de «projet» mais de «résultats». On n’osait plus la «philosophie» mais le «parler vrai». Les «idées» venaient brutalement d’être remplacées par le «logiciel». Plus de «sens», que de la posture. Nicoléon campait et campe toujours parfaitement le rôle… Mais, franchement, qu’avez-vous entendu, mardi soir, sinon le même personnage annonçant toujours des cadeaux aux plus riches et méprisant les plus pauvres ?

Népotisme. L’époque nous convoque au «no limit» de la frénésie du grand n’importe quoi, du tout et son contraire. « Plus de limites “à” parce que plus de limites “entre”», pour reprendre une expression de Régis Debray. Version décomplexée et amorale des affaires publiques, plus de limites entre l’engagement dans la cité et les affaires privées, entre l’administré et le copain, le citoyen et l’individu, le nous et le moi-je. Ces liaisons dangereuses et autres conflits d’intérêts installés au cœur des mécanismes d’État résultent d’une confusion des sphères (qui fait quoi, comment, et pourquoi il le fait) qui désagrège l’éthique et rend admissible aux yeux de tous l’inacceptable. Tout sombre dans l’affairisme et l’exhibitionnisme. Et autant le dire : l’indécence de notre époque ne provient pas que d’un excès, mais bien d’un déficit de bornes acceptables (donc a priori acceptées par tous) pour le bien-commun. Voilà d’ailleurs l’une des principales hérésies du national-libéral Nicoléon, celle d’imposer un autoritarisme quasi népotique à tous les étages de la société, tout en laissant claquer à tous vents les portes de l’ultralibéralisme, qui se sert comme dans un supermarché, renverse tout, pille, déforme et avilie.

Guépard. «Tout change pour que rien ne change.» Chacun d’entre nous connaît la célèbre phrase symbolique de Giuseppe Tomasi di Lampedusa, dans le Guépard. Personne ou presque ne se souvient des mots conclusifs, en forme d’épitaphe que beaucoup devraient plutôt considérer comme exorde. «Nous fûmes les Guépards, les Lions : ceux qui nous succéderont seront les Chacals, les Hyènes. Et tous tant que nous sommes, Guépards, Chacals, Brebis, nous continuerons à nous considérer comme le sel de la terre.» Mais qui est dévoré par une quelconque mystique républicaine, de nos jours ?

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 20 novembre 2010.]

(A plus tard...)

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Admirable. Rien d'autre à dire. Vraiment !