Sans parler de vacance du pouvoir, admettons néanmoins que nous ne savons plus si l’exécutif a la moindre idée de ce qui se passe dans le pays et, surtout, de ce qu’il peut encore faire pour en circonscrire les conséquences. Bien malin qui, il y a trois semaines, aurait pu prédire semblable scénario. L’ampleur du mouvement de contestation devient si incandescente que nul, pas même les plus emportés des révoltés, n’aurait pu imaginer à quel point le pouvoir allait vaciller à force d’ébranlements successifs. L’incapacité du président et de son premier ministre à comprendre, juste comprendre, ce qui se joue réellement dans les tréfonds de la société française témoigne d’un décrochage qui dit plus que leur incompétence: ils se trouvent à des années-lumière de la vie des citoyens. La Macronie ressemble à un bateau ivre. Et encore, l’image paraît presque impropre: le bateau prend l’eau de toutes parts et rien ne nous dit qu’il n’est pas menacé de sombrer, sous une forme ou une autre, tôt ou tard.
Après avoir annoncé un moratoire sur les taxes – ce qui n’a rien changé à la détermination des gilets jaunes –, Édouard Philippe admet finalement ne pas craindre un débat «nécessaire» sur la réforme de l’ISF. Rendons-nous compte du chemin parcouru en si peu de jours! La démonstration est éclatante. Quoi que nous pensions de la naissance de ce mouvement, son évolution progressive prouve que les citoyens en lutte peuvent non seulement mettre sur le reculoir un gouvernement mais également aider à abattre des dogmes. Celui de l’ISF était constitutif du quinquennat d’Emmanuel Macron. Il n’est désormais plus tabou. Songeons potentiellement à la suite. Car les revendications les plus fortes ne s’arrêtent pas là, elles vont de la hausse des salaires à l’édification d’une nouvelle République, en passant bien sûr par une fiscalité plus juste. Vaste éventail!
Sans en rajouter dans l’excès d’optimisme, a-t-on le droit de croire que nous assistons, peut-être, à une sorte de mûrissement de la conscience de classe? L’histoire en cours n’est pas mineure. C’est même une page de l’histoire de France qui s’écrit sous nos yeux. Comptons sur l’addition des colères, comme œuvre collective, pour la parapher de la meilleure des manières.
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 6 décembre 2018.]
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