Langage. Les habits neufs de l’aliénation semblent à la mode, nous en voyons quotidiennement les défilés comme chez Saint Laurent ou Chanel, sauf que ces parades s’imposent à nos yeux par le truchement médiatique omniprésent. Devant ce spectacle affligeant présenté comme de la «haute culture», le bloc-noteur pense souvent à l’un des personnages de Labiche, le sieur Horace, qui apostrophe un parvenu méprisant: «Nous avons de par le monde une bande de petits poseurs… sérieux, graves, avec de grands mots dans la bouche… ça étonne les imbéciles.» Les dogmatiques ont été lâchés comme les chiens à la chasse. Mais ils s’avèrent plus dangereux qu’autrefois. Pour deux raisons. Primo: ils opèrent depuis une bonne génération, autant dire qu’ils ont désormais pour eux une «pratique» bien rodée quand les tapis rouges de la médiacratie se dressent pour les y voir. Secundo: ils se coulent insidieusement dans les pas inattendus de la «raison», sinon de la «vérité» et usent des attributs qui caractérisent traditionnellement le langage des scientifiques.
Jean-Pierre Bibring. |
Bibring. Pour lutter contre cette aporie généralisée et reprendre la « bataille culturelle », au sens gramscien, il fallait être à la Fête de l’Humanité. Tant pis pour les absents volontaires. Ils ne sauront pas que les lendemains de Fête se prêtent volontiers au prolongement de l’allégresse en pleine conscience d’avoir œuvré en collectif. Vous n’avez pas vu le réalisateur Raoul Peck au stand des Amis de l’Huma? Faiblesse. Vous n’y avez pas rythmé la cadence avec Michel Portal et Bernard Lubat? Faute de goût. Vous n’y avez pas non plus écouté l’astrophysicien Jean-Pierre Bibring? Monumentale erreur, car ce à quoi vous auriez assisté aurait pu vous transformer. Arrêtons-nous un instant sur la prestation de cet Einstein de la vulgarisation. Si le bloc-noteur s’arroge le droit –le devoir– de témoigner de sa passion pour Jean-Pierre Bibring, ce n’est pas seulement parce que cet homme séduit par son éloquence verbale et l’ampleur de ses connaissances scientifiques au service d’une vision du monde commune à la nôtre.
Non, si nous fûmes la tête dans les étoiles durant près de deux heures, plantés au cœur de l’Univers et du système solaire, en plein apprentissage cosmologique à revisiter le big-bang, à déconstruire la physique quantique ou à redéfinir la question même du «vivant» (captivant déploiement de nos cerveaux face à cette possibilité), nous le devons à cet astrophysicien, qui nous a prouvé que l’effort librement consenti rend plus intelligent. Fascinante prestation que celle du père de Philae, cet «atterrisseur» de l’Agence spatiale européenne transporté à 510 millions de kilomètres de la Terre par la sonde Rosetta, avant de se poser sur une comète, le 12 novembre 2014, après un voyage de plus de dix ans… Jean-Pierre Bibring vous parle des conditions aléatoires qui ont permis la vie sur Terre? Et vous vous retrouvez en pleine exploration philosophique ! Il vous narre la destinée des planètes et des raisons pour lesquelles la nôtre devint bleue à la coloration des océans? Et vous interprétez différemment notre horizon anthropologique! Il vous explique comment le néolibéralisme de la pensée économique épouse les pires théories au nom de la science, avec des phrases du genre «c’est un fait de la nature»? Et vous comprenez pourquoi on dresse des bûchers modernes! Jean-Pierre Bibring, c’est l’exploration de l’infini sidéral à votre espace intime, c’est surtout de la politique quand il rappelle ceci: «Les scientistes croient trouver dans une science fétichisée les vraies lois qui régiraient l’humanité et s’emploient à les faire régner, alors que les véritables scientifiques savent que les lois découvertes par les sciences de la nature sont inhérentes aux phénomènes observés, alors que celles qui donnent ordre et sens à la vie humaine sont nécessairement postulées.» Conclusion? Le capitalisme n’est pas un fait de nature, mais une construction humaine contestable. Et si vous croyez qu’il y a de la vie ailleurs, passez votre tour. Comme disait René Char, «l’essentiel est toujours menacé par l’insignifiant».
[BLOC-NOTES publié dans l’Humanité du 22 septembre 2017.]
1 commentaire:
on fait comment pour l'écouter???
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