En ce moment de choc inouï et durable pour notre vie démocratique, nous ne nous excuserons pas de convoquer l’intelligence civique et citoyenne, pour ne pas dire une certaine forme de raison.
Aux heures sombres de notre histoire politique, comme dans nos vies quotidiennes d’ailleurs, il est parfois urgent de savoir prendre les choses dans le bon ordre. Les électeurs de dimanche dernier nous y contraignent une fois de plus et ce n’est évidemment pas de gaieté de cœur que nous écrivons ces lignes que nous aurions préféré taire à jamais. Les résultats du premier tour des régionales ne doivent, en aucun cas, nous figer et nous paralyser dans les crocs d’une quelconque sidération mâtinée de prostration qui seraient d’autant plus coupables qu’elles se retourneraient précisément contre ceux qui aspirent le plus à l’émergence d’une République sociale. Ainsi, en ce moment de choc inouï et durable pour notre vie démocratique, nous ne nous excuserons pas de convoquer l’intelligence civique et citoyenne, pour ne pas dire une certaine forme de raison. Dimanche prochain, il nous faudra aller voter. Il n’y aura, hélas, que deux cas de figure pour faire barrage à l’extrême droite et à la droite. Pour certains d’entre nous, ne le cachons pas, il conviendra de se munir de gants pour réussir le simple geste de glisser un bulletin dans l’urne afin d’empêcher les candidats du Front national de s’emparer de quelques-unes de nos régions: ce qu’il nous reste d’honneur en pensant à la République? Pour d’autres, là où nous défendrons des listes de rassemblement à gauche, avec des socialistes tout en haut de l’affiche, ce sera souvent le nez pincé, mais à un détail près qui change tout: il s’agira également, dans cinq régions, d’élire le plus grand nombre d’élus du Front de gauche. Ni confusion ni illusion. Juste de la lucidité.
Répétons-le encore et encore: les politiques locales de gauche et de droite ne sont pas identiques. Qu’elles diffèrent de beaucoup ou de peu, ce «moindre mal», vu l’état du pays, n’est pas illusoire. Cela constitue au moins un gage de résistances possibles, de dialogues et pourquoi pas de négociations. Après ce second tour, il sera temps –quoique le temps presse, n’est-ce pas– de réenclencher une bataille d’idées sans précédent. Tous les corps sociaux, politiques, culturels, médiatiques, etc., sont désormais en crises multiples et/ou en morceaux. Comment la démocratie peut-elle continuer de fonctionner si elle n’a plus les moyens d’éclairer vraiment les choix des citoyens, conduits à voter contre eux-mêmes et leurs intérêts? Cette question devenue abyssale pour l’à-venir ne doit pas rester sans réponse. De même, bousculer tôt ou tard l’hégémonie du PS devient l’un des impératifs pour modifier la nature même du débat. Malgré l’ampleur du chemin parcouru, le Front de gauche n’est qu’un début de réponse, insuffisant et inopérant sur le plan électoral. À l’évidence, un rassemblement d’un nouveau type, à partir des composantes existantes, doit voir le jour, sachant dépasser les contradictions, les tentations de repli et les pesanteurs inhérentes aux organisations elles-mêmes. L’heure est grave. D’autant que la crédibilité d’un rassemblement tient d’abord à son projet. Et ce projet ne saurait être qu’une simple «sortie des crises» mais bien un changement de société radical. Autrement dit? Incarner un nouvel horizon de gauche d’émancipation populaire, qui ne soit pas que l’éternelle répétition de petites espérances suivies d’immenses déceptions…
[EDITORIAL publié dans l’Humanité du 9 décembre 2015.]
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